Portrait d'Hélène Grimaud
Image, G.AdC
« J’avais retrouvé Franz Liszt en visitant les jardins de la villa d’Este et ses jeux d’eau : un cristal glissant entre les pierres et les statues, le lierre et d’autres feuillages légers et fantasques. L’eau, en dévalant les pentes rudes du parc jusqu’au lac, épousait dans ses formes les torsades des volubilis, les volutes des clématites, et alors se plissait, se boursouflait, se crénelait et j’entendais les arpèges du piano, je voyais Franz Liszt écouter les cascades et les transmuter en une musique ondoyante, sensuelle immensément. J’avais songé à d’autres palais d’eaux, ainsi Grenade et ses bassins miroirs qui tutoyaient le ciel. Grenade dont les palais labyrinthiques révélaient brusquement des cours secrètes, ornées de jets d’eau ébauchés et qui perlaient aux fontaines comme des bourgeons de chair.
Sur les rivages de la villa d’Este, on entendait aussi, continuellement, le va-et-vient des rames dans l’eau, le bruissement de l’esquif pareil à un soupir, la voix de ce qui se passe et périt tandis que dans le miroir du lac les choses cessaient de respirer et reposaient dans l’extase de l’immortalité. La douceur m’enveloppait, lénifiante et mon corps s’y abandonnait, non pas une paresse mais une inclination à m’épauler sur l’air, comme si l’air seul par son velouté, la densité de ce qu’il recevait et de ce qu’il reflétait, pouvait supporter mon corps. Je m’étalais dans la brise et la sensation était toute nouvelle pour moi, d’habitude levée à l’aube, attelée au piano pendant des heures après mes exercices de gymnastique et de yoga. Ici, même lors de mes marches matinales, j’éprouvais cette sensation d’occuper tout l’espace, de l’embrasser de chacun de mes pores, si fort que je me sentais merveilleusement immortelle.
Hélène Grimaud, Leçons particulières, Éditions Robert Laffont, 2005, pp. 120-121.
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