Chroniques de femmes - EDITO/SOMMAIRE Liliane Giraudon, La Poétesse, P.O.L., 2009.
Lecture de Jos Roy
Ph., G.AdC
La Poète, elle bricole, elle organise son monde.
Elle fabrique La Poétesse en trois coups de découpé-mélangé-collé. Attention, La Poète n’est pas La Poétesse. (Trop évident). La Poète c’est elle. La Poétesse, c’est un corps constitué : de La Poète, des fiancés, du père mort, de la mère morte, du lys aux précédents offert, de Jack Spicer, de Joséphine Baker, de la chatte infanticide, du Fils, des « choses Arrachées décousues », de Calamity Jane, de Carl Einstein, de carnets bleu, vert, gris, du garçon vierge, et plus, d’une poitrine dégrafée, et plus, de femmes dévorées vivantes, et plus. La Poétesse fait dans le service trois pièces : « Ma chérie je t’ai fait des phrases trouvées partout » ; « Kara Walker n’est pas Joséphine Baker », « Le goût du crabe ». À la première palpation de l’œil, on devine la complexité essentielle du tout. La Poétesse est un corps homobiographique. C’est que La Poète bricole, on l’a déjà dit. On la soupçonne même de s’essayer à la manipulation génétique. En croisant une autobiographie avec une biographie, en ajoutant quelques parts de rêves vivants et de choses savantes, en greffant sa patte d’écriredessiner, elle donne naissance à l’homobiographie, espèce inconnue mais non dépourvue de familiarités singulières, à l’enveloppe incertaine, une « mosaïque liquide ». La Poétesse est un corps globulaire. On précisera un corps globulaire à forte tendance charnelle : « j’ai rêvé d’un livre à manger cru » et de préférence sphérique. Eisenstein est heureux. À trop croquer dans cette généreuse trinité, on se casse parfois une dent. Faux. C’est La Poète qui se casse une dent. On confond. On se trouble. Il y a du grand mélange dans l’air : « La Poète a plus peur d’un dentiste que d’un quatrain. C’est ce que La Poète se dit en s’endormant. » Nous, on vertige ; on s’accroche aux meubles qui basculent : on collectionne les majuscules délocalisées, les ponctuations de couleur qui couvrent les cahiers plutôt que les poèmes, on voyage dans des cieux peuplés d’Orion et de Saturne chasseurs de crabe où l’on retient que « lire dans les Astres c’est renouer un destin », on ne sait plus à qui appartiennent les mains du Fiancé (elles sont belles), les repères sombrent. Apparaissent des monstres qui font des lectures, greffent des « phrases prélevées » sur des corps improbables. Entre les chattes tombées du toit, les tiges de haricot et des broderies de mémoire, on navigue en se disant : « (t)u n’es pas encore en voie de disparition », en évitant « cette drogue terrible (à savoir soi-même) que chacun absorbe dès qu’il est seul ». Comme son nom ne l’indique pas, La Poétesse est un corps féminin tranché. Elle décide que stigmate, anchois et après-midi sont des filles, affirme que charnière n’est pas le féminin de charnier. Elle relève au passage quelques décapitations littéraires du même sexe que le sien, quelques coffres-vagins et seins coupés, des mains vacantes. Un corps féminin tranché, cela fait soustraction. Les soustractions laissent des traces puisque « écrire est une soustraction », pense la Poète, Hier. Et dans la « marque […] inscrite dans le corps, toujours à gauche », de « Hop ! Hop ! Ma chérie c’est sûr, un message s’y trouve, il ne s’adresse qu’à toi. » La Poète opère un déploiement de monde, nous gratifie de sa nuée volcanique : « ‘IL N’Y A D’EXPLOSION QUE LE LIVRE.’ Hop ! Hop ! Ma chérie, la formule est à creuser… » Liliane Giraudon est La Poète qui fait La Poétesse, homobiographie parue en 2009 aux éditions P.O.L. Celle qui bricole. Qui organise son monde. Qui hurle à ses lecteurs quelque chose comme : Circulez ! Il n’y a rien tout à voir dans les « occasions » du poème. Ph., G.AdC Jos Roy D.R. Texte Jos Roy/Terres de femmes
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