Ph., G.AdC
Au commencement, il y avait une chapelle…
Au commencement, il y avait une chapelle piévane. Une construction harmonieuse, oblongue, édifiée au cours du XI-XIIe siècle par les maîtres pisans. De proportions et d’apparence modestes, la chapelle est, semble-t-il, une sobre réplique de la cathédrale de La Canonica. L’une et l’autre, la cathédrale et la chapelle, vouées à la Vierge, à son Assomption, ont pour nom Santa Maria Assunta.
Santa Maria Assunta est l’église la plus ancienne de Canari. Et pour moi, la plus émouvante. Sise dans un enclos, dos à la montagne, elle regarde droit devant elle. Elle regarde la mer.
Protégée par son enceinte de pierre, elle était jadis l’esprit du lieu. Un lieu de sérénité et de méditation. Accolé au soubassement latéral de la chapelle, un muret s’étire à ras du sol. J’imagine les pèlerins s’attardant sur ce banc de schiste, priant dans le silence, le dos contre la pierre chaude. Tout là-haut, vers le ciel, tout autour de la chapelle, une frise ornementale court sous le débord de la toiture de lauzes. Un feston orné de hauts-reliefs découpe ses courbes sous la corniche. Mystère de la cadence aléatoire des arcatures dont le souci de symétrie ne semble pas être un critère absolu de sens.
La symétrie aurait pu être assurée par la répétition régulière des figures allégoriques sculptées sous certains des arceaux. Ou encore par le rythme synchrone des modillons qui soutiennent par endroits la corniche. Mais il n’en est pas vraiment ainsi. Le regard cherche. Le regard interroge le feston de pierre : une grande arcature, flanquée de deux petites à gauche et de trois grandes à droite. Quelle règle préside à cette partition ? Cinq figures anthropomorphes d’un côté de la pierre d’angle, deux de l’autre ― les sept péchés capitaux ou encore le pair et l’impair ― les deux principes qui régissent le monde ?
Côté sud, la chapelle est ornementée de grotesques et de visages humains ― ceux, peut-être, de quelque notable du village ou de quelque religieux, tandis que symboles solaires ― roues et lions ― et bestiaire insulaire ― âne et mouflon ― ornent le côté nord. Toute l’ornementation extérieure de la chapelle se tient dans cette frise, hors la rare insertion de sculpture préromane. Mystère de l’art roman. Rien dans le corps trapu de Santa Maria Assunta ― à peine entaillé de quatre meurtrières effilées ― ne laisse imaginer la haute mâture, baignée de lumière, du vaisseau de la nef.
Que reste-t-il de cette harmonieuse sobriété ? Confisquée par l’histoire au temps de la Contre-Réforme, la chapelle a subi des outrages.
Flanquée d’absides semi-circulaires voûtées en cul-de-four, éventrée dans sa façade principale par un oculus incongru et disproportionné, Santa Maria Assunta a perdu sa belle ordonnance romane. D’inspiration baroque, le percement de l’oculus a nécessité de surélever l’arc plein-cintre au-dessus du portail par un linteau d’une autre facture, dont la pierre provient probablement d’une carrière autre que celle qui a servi à la construction de la chapelle. L’équilibre des formes et des volumes a de ce fait été rompu. La chapelle meurtrie a souffert, offensée par la vanité et le prosélytisme de religieux se réclamant de Dieu.
Santa Maria Assunta, pourtant, continue de m’émouvoir. Quelque chose d’intangible la rend à sa beauté originelle. Quelque chose qui se lit dans le mariage subtil de la lumière avec la pierre. Il faut prendre le recul et le temps nécessaires pour se laisser transporter par cet échange secret et silencieux. Il faut se laisser capter par les jeux furtifs d’ombre et de lumière avec le feuilletis de la pierre. Diffusion et diffraction. C’est alors que l’agencement des blocs de pierres entre elles prend toute sa nervosité, imprimant à l’ensemble rythmes et lignes de force. Veines obliques et nervures trament un maillage mystérieux, plus assombri ici, là plus clair. Schistes roses et vert d’eau alternent, qui mêlent leurs tendres ramures aux ramifications de l’arbre de Jessé. L’ombre portée des pins glisse sur la pierre. L’élan spirituel se vit au rythme des saisons.
Angèle Paoli
D.R. Texte Angèle Paoli
Ph., G.AdC
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