Le 30 décembre 1926 mourait d’une leucémie Rainer Maria Rilke, dans la clinique Val-Mont (Montreux, Suisse).
Tsvétaïeva à Pasternak Bellevue, 31 décembre 1926. « Boris ! Rainer Maria Rilke est mort. Je ne sais pas la date, il y a trois jours environ. On est venu m’inviter à un réveillon, et en même temps, on m’a appris la nouvelle. Sa dernière lettre (6 septembre) se terminait par un cri : Au printemps ! C’est trop long ! Plus tôt, plus tôt ! (Nous avions parlé de nous voir). Il n’a pas répondu à ma réponse, puis, après mon arrivée à Bellevue, je lui ai envoyé cette lettre en une ligne : Rainer, was ist’s ? Rainer, liebst du mich noch**? Dis à Svetlov (La jeune garde) que sa Grenade est ma poésie préférée, j’ai failli dire « meilleure » de toute l’année. Essénine n’en a pas fait une seule qui la vaille. Mais cela, ne le dis pas : laissons Essénine dormir en paix. Nous reverrons-nous jamais ? À sa bonne et heureuse ère, Boris ! » M. *Im Frühling ? Mir ist lang, Eher ! Eher ! **Rainer, que se passe-t-il ? Rainer, m’aimes-tu encore ? Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Marina Tsvétaïeva, id., p. 251. Lettre posthume de Tsvétaïeva à Rilke « L’année s’achève sur ta mort ? Une fin ? Un commencement. (Très cher, je sais que maintenant ― Rainer, voilà que je pleure ― que maintenant tu peux me lire sans courrier, que tu es en train de me lire. Cher, si toi, tu es mort, il n’y a pas de mort, la vie - n’en est pas une. Quoi encore ? La petite ville de Savoye ― quand ? où ? Rainer, et le nid (le filet*) de sommeil ? Maintenant, tu sais aussi le russe, tu sais que nid se dit gnezdό, et bien d’autres choses encore. Je ne veux pas relire tes lettres, sinon je ne voudrai plus « vivre » (ne le « pourrai » plus ? Je « peux » tout ― ce n’est pas de jeu), je voudrais te rejoindre, pas rester ici. Rainer, je sais que tu seras tout de suite à ma droite, je sens presque, déjà, ta tête claire. As-tu pensé une fois à moi ? C’est demain l’an nouveau, Rainer-1927. 7. Ton chiffre préféré. Tu es donc né en 1875 (le journal) ? 51 ans ? Jeune. Ta pauvre petite fille, qui ne t’a jamais vu. Pauvre moi. Pourtant, il ne faut pas être triste ! Aujourd’hui, à minuit, je trinquerai (oh ! très doucement, nous n’aimons pas le bruit, toi et moi) avec toi. Très cher, fais que je rêve de toi quelquefois. Nous n’avons jamais cru à une rencontre ici ; pas plus qu’à l’ici, n’est-ce pas ? Tu m’as précédée pour mettre un peu d’ordre ― non pas dans la chambre, ni dans la maison ― dans le paysage, pour ma bienvenue. Je te baise la bouche ? La tempe ? Le front ? Plutôt la bouche [car tu n’es pas mort], comme à un vrai vivant. Très cher, aime-moi, autrement et plus que personne d’autre. Ne sois pas fâché contre moi ― habitue-toi à moi, c’est comme ça que je suis. Quoi encore ? Trop haut, peut-être ? Ni haut, ni loin. …un peu trop en face de ce spectacle émouvant, pas encore, encore trop proche, front contre épaule. Non, cher grand garçon ― ô Rainer, écris-moi (est-elle assez bête, cette prière ?) Meilleurs vœux et beau paysage de l’an nouveau du ciel ! Marina. Bellevue, le 31 décembre 1926, dix heures du soir. Rainer, tu es encore sur Terre, pour 24 heures à peine ! » Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Marina Tsvétaïeva, ibidem, pp. 254-255. |
■ Rainer Maria Rilke sur Terres de femmes ▼ → 12 avril 1926 | Lettre de Pasternak à Rilke → Rainer Maria Rilke | Chemins de la vie → Rainer Maria Rilke | Je voudrais tendre des tissus de pourpre → Rainer Maria Rilke | « Respirer, invisible poème ! » ■ Voir aussi ▼ → 5 février 1937 | Mort de Lou Andreas-Salomé |
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Bel hommage, merci Angèle,
en écho, ce poème que j'aime, "...dans la torpeur dort un immense vouloir."..........
Baci !
Der Panther
Im Jardin des Plantes, Paris
Sein Blick ist vom Vorübergehn der Stäbe
so müd geworden, dass er nichts mehr hält.
Ihm ist, als ob es tausend Stäbe gäbe
und hinter tausend Stäben keine Welt.
Der weiche Gang geschmeidig starker Schritte,
der sich im allerkleinsten Kreise dreht,
ist wie ein Tanz von Kraft um eine Mitte,
in der betäubt ein großer Wille steht.
Nur manchmal schiebt der Vorhang der Pupille
sich lautlos auf -. Dann geht ein Bild hinein,
geht durch der Glieder angespannte Stille -
und hört im Herzen auf zu sein.
La Panthère
(Jardin des Plantes, Paris)
Son regard du retour éternel des barreaux
s’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien.
Il ne lui semble voir que barreaux par milliers
et derrière mille barreaux, plus de monde.
La molle marche des pas flexibles et forts
qui tourne dans le cercle le plus exigu
paraît une danse de force autour d’un centre
où dort dans la torpeur un immense vouloir.
Quelquefois seulement le rideau des pupilles
sans bruit se lève. Alors une image y pénètre,
court à travers le silence tendu des membres -
et dans le cœur s’interrompt d’être.
(trad.Claude Vigée)
Rédigé par : Martine | 30 décembre 2010 à 13:27
Carnet de route ? La route finit mais le Carnet jamais !
De Marina Tsvétaïeva à Rilke, de Jean Proal à Jean Proal et d'Angèle Paoli à ses lecteurs, le carnet est le mot qui dit la passion du poète de vivre éternellement amoureux du mot du poète.
Finalement, tous ces textes, ces carnets, ces mots du poète au poète nous enivrent, nous passionnent, on en meurt et ils restent, ils éternisent car ils sont la passion effrénée, immortelle, le Carnet du Poète.
Rédigé par : Mahdia Benguesmia | 30 décembre 2010 à 18:55
Effectivement, on ne gèle pas en décembre chez Angèle Paoli.
De la beauté du mot à la beauté des dames qui tissent et perfectionnent le mot, Terres de femmes devient l'âtre autour duquel la dame de Thèbes, née aujourd'hui dans le Cap Corse, réunit une constellation de femmes qui font de la beauté de l'esprit une élégance du cœur et de l'horizon que filent leurs mains.
Merci encore, chère Angèle, pour Antigone, Gabriella Mistral, Aurélie Loiseleur, Françoise Clédat, Caroline Sagot Duvauroux, Susan Sontag, Marina Tsvétaïeva, la dame resplendissante de Pompadour, pour toutes les autres et pour vous.
Votre Terre chaleureuse doit majestueusement faire envie aux plus prestigieuses des cheminées.
Rédigé par : Mahdia Benguesmia | 30 décembre 2010 à 22:36
Chères amies, Mahdia, Martine, Christiane, Sylvie, Nathalie, Émilie, Pascale... et toutes celles qui passent, furtivement, sur mes terres. Mahdia a probablement raison. Elle voit juste. Sans doute suis-je à la recherche des salons littéraires d'antan, qui réunissaient aimablement gens de lettres et artistes. C'est à eux/elles que je pense en menant ces carnets quotidiens. Et si j'y parviens pour votre bonheur à toutes, mes vœux sont exaucés au-delà de toutes mes espérances, au-delà de tous mes désirs. Je poursuis ma farandole fantaisiste à travers le temps et les écritures, pour mon plaisir et pour le vôtre dans le partage des mots et de la beauté.
Mille mercis à vous toutes.
Belle et douce nouvelle année.
Angèle
Rédigé par : Angele Paoli | 31 décembre 2010 à 09:15