<< Poésie d'un jour
A mii fioi morti
Ombre d’i mii fioi, prima
che sparisso anca mi,
stemo qua un poco insieme
'na volta ancora, insieme
ciacolemo e ridemo.
Se gavè pianto, piànzer
no’ ste più. Ormai sughèmose
i oci tuti. Andeghe
far’ una carezza a vostra
mama. Piànzer no’ servi.
Xe morti tanti tanti ;
e papà e mame e fioi,
tanti, ga pianto e pianzi.
'Sto qua nassi nel mondo :
nassi e xe sempre nato.
Se no go savù darve
tuto quel che bramavo
in cuor, oh perdoneme !
Del ben che de vualtri
go’ vu, mi ve ringràzio
adesso, qua, che ancora
'na volta stemo insieme
un poco, e insieme, come
nei nostri ani bei,
ciacolemo e ridemo.
À mes fils morts
Ombres de mes fils, avant
que je disparaisse aussi,
restons ici un peu ensemble
une fois encore, ensemble
bavardons et rions.
Si vous avez pleuré, en pleurs
ne soyez plus. Alors séchons
nos yeux, tous. Et allez
faire une caresse à votre
mère. Pleurer à rien ne sert.
Tant et tant de morts ;
et pères et mères et enfants,
tant ont pleuré et pleurent.
Cela advient dans le monde :
advient et est toujours advenu.
Si je n’ai su vous donner
tout ce que je désirais
en mon cœur, oh pardonnez-moi !
De l’amour que de vous
j’ai eu, je vous remercie
maintenant, ici, encore
une fois restons ensemble
un peu, et ensemble, comme
en nos belles années,
bavardons et rions.
Virgilio Giotti, « Parte treza/ Troisième partie » in Soir, Préface d’Anna Modena, traduit du Triestin par Laurent Feneyrou & Pietro Milli, postface de Laurent Feneyrou, Éditions Triestiana, 2024, pp. 84,85.
Quatrième de couverture : Maître du dialecte triestin, de ses couleurs et de son rythme, Virgilio Giotti (1885-1957) réunit dans Soir les vers qu'il compose entre 1943 et 1948, alors que ses deux fils sont au front, que l'un y meurt et que l'autre n'en revient pas. Ce recueil, bouleversant, le plus court, est aussi son plus dense : seize titres seulement, qui dialoguent et se nouent. Des traits élégiaques demeurent, ainsi que quelques paysages, miroir de l'âme en peine. Mais s'y dessinent surtout la maison et la famille qui l'habite, ses joies simples d'antan, ses regards de plus en plus nostalgiques et ses malheurs à vif, comme un patrimoine humain de sentiments et de morale que préserve le poème.
Photo : wikipedia
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