<< Poésie d'un jour
Photographie de Mario Giacomelli (voir plus bas)
Ce ne andiamo.
Ce ne andiamo via.
Dal torrente Aron
Dalla pianura di Simeri.
Ce ne andiamo
con dieci centimetri
di terra secca sotto le scarpe
con mani dure con rabbia con niente.
Vigna vigna
fiumare fiumare
Doppiando capo Schiavonea.
Ce ne andiamo
dai campi d’erba
tra il grido
delle quaglie e i bastioni.
Dai fichi
più maledetti
a limite
con l’autunno e con l’Italia.
Dai paesi
più vecchi più stanchi
in cima
al levante delle disgrazie.
Cropani
Longobucco
Cerchiara Polistena
Diamante Nào
Ionadi Cessaniti
Mammola Filandari…
Tufi.
Calcarei
immobili
massi eterni
sotto pena di scomunica.
Ce ne andiamo
rompendo Petrace
con l’ultima dinamite.
Senza
sentire più
il nome Calabria
il nome disperazione.
Troppo tempo
siamo stati nei monti
con un trombone fra le gambe.
Adesso
ce ne scendiamo
muti per le scorciatoie.
Dai Conflenti
dalle Pietre Nere da Ardore.
Dal sole di Cutro
pazzo sulla pianura
dalla sua notte, brace di uccelli.
Troppo tempo
a gridarci nella bettola
il sette di spade
a buttare il re e l’asso.
Troppo tempo
a raccontarci storie
chiamando onore una coltellata
e disgrazia non avere padrone.
Troppo
troppo tempo
a restarcene zitti
quando bisognava parlare, basta…
**
Photographie de Mario Giacomelli (voir plus bas)
Nous partons.
Nous partons loin.
Depuis le torrent Aron
de la plaine de Simeri.
Nous partons
avec dix centimètres
de terre sèche sous nos chaussures
avec nos mains calleuses avec la rage avec rien.
Vigne par vigne
torrent par torrent
en doublant le Capo Schiavonea.
Nous partons
depuis les terrains en friche
entre les cris des cailles
et les remparts.
Depuis les plus
maudits figuiers
à la limite
de l’automne et de l’Italie.
Depuis les villages
les plus anciens et fatigués
sur les sommets
au levant des malheurs.
Cropani Longobucco
Cerchiara Polistena
Diamante Nào
Jonadi Cessaniti
Mammola Filandari...
Tufs, calcaires
immobiles
rochers éternels
sous peine d’excommunication.
Nous partons
en faisant sauter Petrace
avec notre dernière dynamite.
Sans plus entendre
le nom Calabria
le nom du désespoir.
Trop longtemps
nous sommes restés sur les montagnes
avec un tromblon
entre nos jambes.
Maintenant
nous descendons muets
par des raccourcis.
Depuis Conflenti
depuis Pietre Nere d’Ardore.
Depuis le soleil de Cutro
fou sur la plaine
depuis sa nuit, braise d’oiseaux.
Trop de temps passé
à nous disputer dans les gargotes
à jeter sur la table
les sept d’épées le roi et l’as.
Trop de temps
à nous conter des histoires
en appelant honneur un coup de couteau
et malheur ne pas avoir de patron.
Trop
trop de temp à ne rien dire
quand il fallait parler, basta.
Photo Angèle Paoli
Franco Costabile, Le chant des nouveaux migrants/ Il canto dei nuovi migranti (extrait), Traduit de l'italien par Gianni Angelini, in William Carlos Williams Europe n°1153, Mai 2025, pp.276, 277, 278, 279.
Franco Costabile est né en 1924 à Sambiase, dans la province de Catanzaro, en Calabre. Peu avant sa naissance, son père abandonna le domicile conjugal pour aller s’installer à Sfax.En 1933, sa mère fit un voyage en Tunisie pour présenter le jeune Franco à son père. Mais c’est en vain qu’elle tenta de réunir la famille. L’empreinte de cette précoce déchirure devait marquer plus tard l’œuvre du poète et son destin même. Franco Costabile commença ses études universitaires à Messine et les termina à Rome avec une thèse de paléographie. Dans la capitale où il enseigna par la suite, il fréquenta divers poètes et intellectuels parmi lesquels Giacomo Debenedetti, Giuseppe Ungaretti, Pietro Citati, Giorgio Bassani, Pier Paolo Pasolini et Girogio Caproni. Ce dernier klui dédia un poème publié dans son livre posthume Res amissa. Le 14 avril 1965, Franco Costabile se suicida au gaz dans son appartement romain. Au cimetière de Sambiase où il est enterré, on grava sur sa tombe des vers inédits qu’Ungaretti voulait lui dédier. En 2024, pour le centième anniversaire de sa naissance, les éditions Rubbettino ont publié l’intégralité de son œuvre poétique sous le titre La rosa nel bicchiere (« La rose dans le verre). Poème de rage et de douleur, Le chant des nouveaux migrants fut écrit en 1964, un an avant sa mort, et peut être considéré comme un testament spirituel. « Dans des vers courts, brisés, rugueux, désespérés, aussi âpres que la terre qu’il décrit, dans un style sec, fiévreux, violents, Franco Costabile pousse les mots à des sommets d’émotion, et c’est là son réalisme. » Ces mots sont de Katiuscia Biondi Giacomelli, co-directrice des Archives Mario Giacomelli. Ils sont l’occasion de rappeler que le grand photographe connaissait quasiment par cœur Le chant des nouveaux migrants et qu’il emprunte ce titre pour la série photographique qu’il réalisa en Calabre en 1984 et 1985. ♦ voir → ICI ♦
Photographies © 2025 © The Mario Giacomelli Archive.
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