Paul Louis Rossi / Les Horizons égarés
dessins de l’auteur
coll. Le Carré des lombes, Obsidiane, 2025
Lecture de Marie-Hélène Prouteau
Ce recueil, Les Horizons égarés, prend une couleur particulière du fait de la disparition récente de Paul Louis Rossi, le 6 février 2025. Prévu de son vivant, mais publié après sa mort, il rassemble deux minces recueils parus il y a une dizaine d’années aux éditions de la Canopée, dans une édition de luxe à tirage limité, illustrée par Thierry Le Saëc, Les Horizons égarés, suivi de Les Brûleuses d’algues. S’y rajoutent aujourd’hui deux textes, Méditations et Rivages, des dessins de l’auteur et un portrait de Marie Étienne.
L’ensemble se place sous le signe hautement signifiant de l’égarement. S’égarer, c’est perdre son chemin, se désorienter. C’est aussi perdre le contrôle de soi. Peut-être aller loin de soi, au-delà d’autres horizons, pour se trouver, se retrouver. C’est dire si, dans cette image des « horizons égarés », se joue le déroulé aléatoire de l’imaginaire analogique propre à Paul Louis Rossi.
La première partie du recueil, mettant en scène plusieurs voyageurs audacieux du XIXe, s’ouvre sur les îles aléoutiennes, au large de la Colombie-Britannique avec le théâtre aléoutien qui fascina tant Paul Louis Rossi. Puis, comme chez Borges, le chemin bifurque vers la Sibérie des Iakoutes. Une mosaïque se construit sous nos yeux qui déploie l’insolite, l’ailleurs, l’inconnu :
« Les cavaliers Iakoutes
arrachent les crins
de leurs montures »
La seconde partie, « Les Brûleuses d’algues », illustre la façon dont la matière bretonne récurrente dans son œuvre est retravaillée par la rêverie labyrinthique. L’écrivain nous emmène au Japon lors d’une séquence de Nô, s’arrime ensuite aux confins d’Armorique dans la fumée des algues brûlées. Il pratique un art de la connexion - remarquable « étoilement », pour reprendre l’expression de Jean-Christophe Bailly. Il fait fi des frontières de genres, poésie, proses, trace et croise des voies, pages de botanique sur les algues, aphorismes philosophiques, tels :
« le vent
de l’impermanence
ne choisit pas l’instant »
Mêlant le poème et le récit en une poésie singulière, le poète cultive la sortie des limites, s’égare, s’élance hors des sentiers battus en mettant en scène des figures singulières de personnages originaux, picaresques, comme il aime à en peupler ses livres, tel le fameux botaniste et écrivain Adelbert de Chamisso aux énigmatiques dessins et auteur de Peter Schlemihl.
Paul Louis Rossi n’est jamais là où on l’attend. Usant à merveille de tours de passe-passe successifs, passant d’un tableau nocturne du théâtre japonais avec le Waki, son récitant, il évoque, quelques pages plus loin, la Place de la Petite Hollande, lieu de Nantes, sa ville natale, ou, Recouvrance, vieux quartier de Brest, ensuite les marais salants de Batz-sur-mer, pour prendre un nouvel embranchement avec « Les Contes d’Ise » et le souvenir des cerisiers en fleurs au Japon. Ce faisant, l’écriture se tient au diapason du « divers ». N’est-ce pas là, dans ce tressage du multiple, que se joue la recherche constante de nouvelles formes ? La création d’une écriture éminemment ductile et mouvante tout à la fois ?
Ces brûleuses d’algues sont-elles bretonnes ? Sont-elles japonaises ? Pour moi qui, dans mon enfance bretonne, ai vu ces femmes astreintes à leur pénible besogne, je ne peux qu’immédiatement les rapprocher des Pêcheuses de goémon, de Paul Gauguin. Magistrale toile où le peintre accole littéralement aux vagues bretonnes du Pouldu la grande vague de Kanagawa d’Hokusaï . Paul Louis Rossi ne fait pas autre chose quand il pose ainsi un « regard éloigné », japonisant, sur le proche et le familier.
Jamais à sa place, toujours dans la mouvance d’un horizon qui, sans cesse, se dérobe, Paul Louis Rossi ne serait-il pas un « écrivain de fuite » qui prend la tangente, se défie des frontières, s’égare dans la contemplation de son monde analogique ? Là où l’emportent ses rêves laminaires, ses contemplations lapidaires :
« un silex parfait
étincelant supérieur
et méditatif »
Dans Méditations et Rivages, poèmes consacrés à des hauts lieux du Moyen-Âge, Sénanque et Tintagel, le poète poursuit sa traversée onirique. Cette qualité contemplative de Paul Louis Rossi, Marie Étienne la saisit avec une extrême sensibilité dans le dessin qu’elle a réalisé, un portrait de profil où le regard du poète semble d’échapper et s’ouvrir à la divagation.
Paul Louis Rossi, toujours en quête de formes nouvelles ouvrant un autre chemin d’écriture, réussit dans ce recueil la visée quasi métamorphique qu’il pointait dans Les Ardoises du ciel : « Mon idéal est une sorte d’idéogramme en prose, forme qui contiendrait à la fois le dessin, la pensée originelle, le geste, ainsi que l’ensemble des sensations, émotions, images suscitées par le récit ».
PAUL LOUIS ROSSI sur → TdF
MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU
Source
■ Marie-Hélène Prouteau
sur Terres de femmes ▼
→La petite plage, Éditions La part Commune, 2015 (lecture d'A.P)
→ Chambre d’enfant gris tristesse
→ La croisière immobile
→ Le cœur est une place forte (lecture d’AP)
→ L’Enfant des vagues (lecture d’AP)
→ Nostalgie blanche. Livre d’artiste avec Michel Remaud
→ Voir Pont-Aven (extrait de Madeleine Bernard, La Songeuse de l’invisible)
→ La Ville aux maisons qui penchent (lecture d’AP)
■ Voir aussi ▼
→ le site d’Isthme
■ Lectures de Marie-Hélène Prouteau
sur Terres de femmes ▼
→ Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
→ Jean-Claude Caër, Alaska
→ Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
→ Marie-Josée Christien, Affolement du sang
→ Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
→ Guénane, Atacama
→ Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
→ Denis Heudré, sèmes semés
→ Jacques Josse, Liscorno
→ Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
→ Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
→ Jean-François Mathé, Prendre et perdre
→ Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
→ Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
→ Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
→ Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
→ Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
→ Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
→ Dominique Sampiero, Chante-perce
→ Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
→ Ronny Someck, Le Piano ardent
→ Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
→ Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même
■ Voir encore ▼
→ (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Marie-Hélène Prouteau
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