<<Poésie d'un jour
CENELLES
C’est à Jules Renard que je dois
d’avoir lu pour la première fois le mot cenelle,
découvrant, non sans surprise tant l’écart
était grand, ses deux syllabes à l’écrit,
quand à l’oral dans notre langue châtiée
il n’en laissait entendre qu’une, à l’image
du noyau unique serti dans la chair
fade, et qu’on recrache lèvres serrées,
surpris, si ce n’est contrarié. Aujourd’hui
qu’elles émaillent de rouge les buissons-
si abondantes, si légères, je persiste
malgré moi dans ma diction, incapable
de leur rendre leurs deux syllabes, ce e
qui, ravalé, les rapproche de nous, vives
soudain à portée, quoique touchant au ciel.
***
UN RU
Ne juge pas du bien fondé du poème
avant d’en avoir transcrit les premiers mots
quand bien même ils peineraient à resserrer
le lien qui te relie au monde, n’exige
pas de lui qu’il affiche d’emblée sa mine
réjouie de premier de la classe, laisse
la trame se constituer, les fils entre eux
s’entrecroiser, se nouer, ce n’est jamais
après tout qu’une histoire entre toi et lui,
histoire de presque rien c’est vrai, incluse
elle-même dans une autre plus infime
encore et ainsi de suite, tant le poème,
imprévisible en soi se cherche, un temps croise
le dédale, unique origine, le fleuve
bien souvent n’est autre à sa source qu’un ru.
***
MAIN DANS LA MAIN
De l’enfant qui posait ses pas le dimanche
sur cette route, tu ne sais rien – ou si
peu, sinon que ses pas le conduisaient là
où aujourd’hui les tiens te ramènent, sans
qu’entre-temps ait changé le gravier crissant
sous ta semelle, pas plus que dans tes yeux
les haies, ni les bêtes, à travers qu’on voit
et qui peut-être te reconnaissent, va
savoir – mas pourquoi cette image d’un fils
et d’un père, aujourd’hui, dis, pourquoi, de dos,
sur cette route, main dans la main, qui marchent…
Photos : Google images
Pascal Commère in Contre-Allées, Revue de poésie contemporaine, n° 50, Printemps 2025,pp.2, 3, 7.
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PASCAL COMMÈRE
■ Pascal Commère
sur Terres de femmes ▼
→ Garder la terre en joie, Peintures originales de Djamel Meskache, Tarabuste Éditeur, 2024, Lecture d’Angèle Paoli
→ « Le voyage de la mère » in Garder la terre en joie, Aquarelles Djamel Meskache, Tarabuste Éditeur 2024
→ [La courbe des fumées là-bas] (poème extrait de Territoire du Coyote)
→ [Blanche, la gelée aux quatre coins] (poème extrait de « Songe du petit cheval déplacé en terre franque »)
→ Mémoire, ce qui demeure (note de lecture d’AP)
→ Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)
→ Sur la poussière
→ [Crayonné paysage] (poème extrait de « Sur une ligne de crête en Toscane »)
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur reflets de lumière) Joseph Beuys – Coyote
→ (sur Terre à ciel) une page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
→ (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
→ (sur le site de France Culture) Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)
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