>> Poésie d'un jour
poèmes proposés par Michaël Bishop
Photo DR : source
Extrait du long poème éponyme :
le miroir sa cage et son lieu d’habitation
le quittera lorsqu’il pourra se passer de tes mains
sans dénigrer tes efforts
sans t’offenser
il te montre les éraflures qu’il est seul à voir
mais tu ne peux rien pour lui
tu ne manges pas le pain qui lui est destiné
ne sais pas que les morts sont solubles dans l’oubli
et cesse d’interroger les tarots
le roi de carreau est sourd
la reine de cœur n’a pas de cœur
la dame de pique ne croit pas à la mort
seul celui qui lit le sable
déchiffre l’alphabet muet
qui sait tout
il crie dans ta bouche pour ne pas disloquer le silence
crie son chagrin de mort ordinaire
tu ne peux rien pour lui
arraché
jamais replanté
tu n’as pas la main verte pour le faire repousser
il te demande de balayer ses débris
de les jeter au pied de l’arbre qui le regardait te feuilleter
blanche de l’extérieur
***
Extrait du poème « Des pierres dans les poches de Virginia…»
Des pierres dans les poches de Virginia
du gaz inhalé à pleins poumons par Sylvia
collier de chanvre la corde autour du cou de Marina qui grattait la terre
cherchait des pommes de terre oubliées dans les sillons
sous quelle motte de terre de Tartarie retrouver Tsvétaïéva?
dans quelle fosse commune de Vladivostok ramasser les ossements de Mandelstam?
mort
ses camarades continuaient à lever sa main pour bénéficier de sa ration de pain
Nadejda criait son nom à tous les trains de Sibérie
Nadejda fouillait la terre
Cherchait le matricule noué à son orteil
Marina Sylvia Virginia écrivaient comme on plume une volaille jusqu’à la peau glabre de la page
trop profonde la rivière Ouse pour Virginia
trop haut pour Marina le crochet au plafond
trop bas les rails pour Anna Karénine
le gaz inhalé à pleines narines par Sylvia Plath était son ami
l’amour un tueur
« Tu écris le bruit de l’averse sur la mer…»
Tu écris le bruit de l’averse sur la mer
le fracas de la grêle sur le toit de la réserve
le mutisme de la neige
le désarroi de la mésange qui ne retrouve pas son nid
tu t’attristes de ne plus savoir pleurer
une gibecière vide
c’est tout ce qu’on a retrouvé du chasseur qui voulait tuer la mort
***
Un poème de la suite des Mères :
Les mères de nos mères étaient femmes aussi
exhumées des coffres
leurs robes s’émiettent au contact de l’air
personne n’en balaie la poussière
seules les pelles se souviennent des mains qui balançaient la neige par-dessus l’épaule
soignaient les engelures au saindoux
faisaient mijoter des racines sans nom
le potage du soir sentait la gadoue
Vénus Khoury-Ghata, Désarroi des âmes errantes, Mercure de France 2025, pp.
Vénus Khoury-Ghata sur → TdF
voir aussi son → portrait par G.AdC
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