Éphéméride culturelle à rebours
3 mai 1917 / Rosa Luxemburg
À Mathilde Jacob
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Rosa Luxemburg
À Mathilde Jacob
Wronke, 3 mai 1917
Ma chère, chère Mathilde,
Ce matin j’ai reçu votre brève lettre qui m’a rendue fort triste, car vous ne m’avez encore jamais écrit si sèchement et je sens bien à sa lecture à quel point vous vous êtes usée à la tâche et combien votre moral est bas. Mais l’après-midi est arrivé le paquet avec les violettes qui m’a un peu consolée. Merci pour ces fleurs et, pour vous tranquilliser, je vais donc vous envoyer quelques lignes par retour du courrier.
Chez moi, il n’y a rien de nouveau, sinon qu’actuellement je passe beaucoup de temps dehors, assise au soleil. Et votre joli fauteuil de rotin est très pratique pour ça ; il est facile à traîner n’importe où et on y est assis royalement. Aujourd’hui sont arrivés une foule de papillons et de bourdons, mais ils n’ont pas trouvé une seule fleurette dans le jardin. Aussi ai-je posé dehors le pot de cinéraires en fleurs que Marta [Rosenbaum] m’a offert, et vous auriez vu comment les petites bêtes se sont précipitées dessus sans pouvoir se rassasier de la poudre d’or qu’elles butinaient ! J’ai vu aussi aujourd’hui pour la première fois un oiseau magnifique : le bruant. J’étais si silencieuse et si immobile qu’il est venu tout près en sautillant et que j’ai pu l’observer très bien. Que de choses j’apprends ici, à Wronke ! C’et vrai, Mathilde, je rassemble ici une masse de connaissances nouvelles, après quoi je consulte les livres et j’éprouve littéralement une impression d’enrichissement.
Merci pour le manuscrit, mais avant de me mettre à la correction je voudrais que, par le truchement de Lene, vous demandiez au Vieux s’il a commencé et où il en est. Je ne peux pas envoyer les épreuves directement à l’éditeur : il me faut les adresser à Mehring, et il serait sans doute terriblement fâché s’il avait fait une bonne partie du travail pour rien.
Luise [Kautsky] m’écrit aujourd’hui de Francfort-sur-le-M. qu’elle peut [venir] entre le 10 et le 15. Mais j’aimerais savoir très bientôt le jour exact de son arrivée, pour ne pas me ronger d’impatience pour rien pendant des jours et des jours. S’il vous plaît, téléphonez à Berlin chez elle (ou bien écrivez à Francfort-sur-le-M., hôpital municipal ; elle y est chez son fils) et faites-moi savoir la réponse. D’elle-même, vous le savez, Luise n’écrira pas.
Ce jour, je vous ai envoyé trois livres de Pfemfert, que je vous prie de lui rendre avec mes remerciements (entre nous, ils ne valent pas grand-chose, je n’ai pas eu du tout envie de les lire), et un petit livret de musique pour le mari de Marta. Après votre dernier sermon, je n’ose plus mobiliser un porteur pour les livrer, aussi voudrais-je savoir quand vous avez reçu le paquet. Et maintenant j’attends avec impatience de nouveau une bonne et calme lettre de vous qui me fera du bien. Avec plus d’impatience encore je vous attends, vous. J’espère vous revoir à la Pentecôte dans cette robe légère de mousseline que j’aime tant. Ne pourriez-vous faire enlever la garniture vert et bleu mat ?
Écoutez, ma chérie ! Sonia se plaint fort amèrement de Lene qui négligerait « le ménage de Karl [Liebknecht] » : elle devait s’occuper de ces choses-là en l’absence de Sonia. Karl serait furieux lui aussi ; s’il vous plaît, ne pourrait-on charger le Vieux de cette mission, si Lene est trop occupée ? Ne laissez pas en tout cas cette pauvre et nerveuse Sonia se débattre toute seule... Je vous embrasse mille fois vous et Mimi et je me languis beaucoup de vous.
Votre R.
Merci pour le papier à lettre. Malheureusement, je trouve qu’il ne se tient pas assez et, pour les enveloppes au moins, je voudrais en rester à celles qui sont rigides. Ne pourrait-on en avoir davantage ? Je veux parler d’enveloppes comme celle dans laquelle j’expédie cette lettre.
Rosa Luxemburg, Herbier de prison (1915-1918), Édition établie et préfacée par Muriel Pic, Textes traduits par Claudie Weill, Gilbert Badia, Irène Petit et Muriel Pic, Héros-Limite, 2023, p.167,168.
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