Francis Coffinet, Je suis de la maison du songe,
préface d’Alain Borer, collection Le Vrai Lieu,
éditions Unicité, 2020.
Lecture de Marie-Hélène Prouteau
" Je suis de la maison du songe"
photo G.AdC
Francis Coffinet est un artiste aux multiples talents, comme le fait ressortir Alain Borer dans sa riche préface, acteur, et aussi et surtout, poète. Il a composé une œuvre conséquente, d’une trentaine de recueils, publiés, entre autres, aux éditions des Cahiers bleus, Dumerchez, Alidades, Transignum, The Cricket Publisher of Aurora, Unicité. Cet ouvrage, Je suis de la maison du songe, se présente comme la reprise de trois recueils antérieurs parus aux éditions des Cahiers bleus. Il s’agit de La terre et la tempe, Marche sur le continent en veille, Je suis allé au soufre natif. Les deux premiers, dans cette nouvelle publication, faisant l’objet d’une traduction, le premier, en bulgare, par Nicolaï Kantsev. Le second, en roumain, par Horia Badescu, accompagné d’un dessin surréaliste de Jérôme Sterbecq et d’une belle avant-page de Salah Stétié sur l’écriture de l’effacement chez Francis Coffinet.
L’unité du recueil tient ici à la tonalité onirique qui se déploie dès le titre et l’incipit :
« Je garde dans mon rêve la mue d’un serpent.
Je me tiens debout en guerrier immobile […]
Je suis de la maison du songe,
avec grandes pratiques de lémuriens et de varans ».
Le poète nous donne ici à lire les signes de son royaume intérieur.
L’écriture de Francis Coffinet est souvent elliptique, toute de retenue et de brièveté. Le poète nous offre une sorte de récapitulation de moments où se mêlent la contemplation d’enfance et les curieux animaux qui y sont attachés, une promenade au jardin des simples et ses plantes médicinales qui semblent sorties d’un antique livre d’alchimie. Le rituel d’une sorte de cérémonial chamanique avec pratiques guérisseuses. Une déambulation cosmique le long d’un bord de mer inconnue. De là naît une parole poétique apte à dire les désirs et les blessures mystérieuses, avec, pourtant, une douceur disponible à toutes choses.
Nous entrons dans le règne végétal où quelque ciguë semble agréger un indicible secret : « j’introduis dans ta bouche / les éclats du talisman et de la belle histoire ». Le poète-sourcier fait surgir l’invisible : de la prunelle dilatée d’un œil immense - la larme qui fore l’œil fait penser à une toile de René Magritte, La saveur des larmes.
Le motif de la maladie qui se laisse deviner – les « amis contaminés », « une planète par leucocyte » - vient énigmatiser la parole poétique. De quoi faut-il se prémunir ? Avec quel songe ont partie liée ce « clan de la lave tiède » et « cette tribu famélique » ? Autant d’images d’une intensité significative d’un hors temps et qui, pourtant, n’exclut pas un fugitif rappel de l’Histoire et de ses victimes oubliées : « Je trace sur ta clavicule le triangle de l’histoire ».
Le vers se déploie dans le creuset du corps – il est question de sang, de veinules, de rétine, d’ongle. Le corps devient le lieu d’une cartographie analogique : « sur le dessus de tes mains / les premières herbes ».
Certains mots sont catalyseurs et portent une charge imaginaire intense. Le mot « philtre » est de ceux-là. Comme celui de « boule d’argile », figurant peut-être quelque Golem. Le chiffre parfait, 12, celui de la plénitude, celui des douze séquences de « La terre et la tempe », vient déployer la pratique de plénitude magique du poète.
De merveilleuses figures passent ici et là, tels le « crieur de coraux », « le guetteur d’étincelles ».
Francis Coffinet s’invente un espace de l’éphémère et, dans une écriture saisissant le plus petit dans le plus grand, il déploie un horizon mouvant, celui du « poème / sablier des grands fonds ». Il se tient au cœur d’une conscience augmentée du monde, dotée d’une étrange lenteur :
« J’ai le cheminement
lent lent
lent de ces animaux
qui ont vu croître la terre »
Une telle plongée onirique renverse les perspectives, lave nos habitudes. Un magnétisme interne se laisse entrevoir qui anime la longue rêverie autant que le langage des choses. En accompagnant le poète sur les bords de l’inconnu, nous habitons la maison du songe.
Marie-Hélène Prouteau
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