<< Poésie d'un jour
Photo-collage de lumières méditerranéennes 2015 : G.AdC
Cветляки
Слова – как светляки с болЬшими фонарями.
Пока рассеян тъі и не всмотрелся в мрак,
Ничтожно и темно их девственное пламя
И неприметен их одушевленнъій прах.
Но тъі взгляни на них весною в южном Сочи,
Где олеандры спят в торжественном цвету,
Где море светляков горит над бездной ночи
И волныы в берег бьют, рыдая на лету.
Сливая целый мир в единственном дыханье,
Там из-под ног твоих земной уходит шар,
И уж не их огни твердят о мирозданье,
Но отдаленных гроз колеблется пожар.
Дыхание фанфар и бубнов незнакомых
Там медленно гудит и бродит в вышине.
Что жалкие слова ? Подобье насекомых !
И всё же эта тварь была послушна мне.
1949
Le Lucciole
Le parole sono come lucciole dalle grandi lanterne.
Finché non sei concentrato e non hai guardato nel buio
inconsistente e debole è la loro fiamma virginale
e poco appariscenti sono come un pulviscolo in moto.
Ma guardale in primavera nel sud, a Soči,
dove gli oleandri si assopiscono in un sontuoso colore,
dove un mare di lucciole avvampa sull’abisso della notte
e le onde sulla riva con un singulto si frangono a volo.
Riunendo tutto il mondo in un unico respiro
sotto i tuoi piedi la terra se ne va,
e non sono le loro luci che parlano dell’universo
ma in lontani temporali ondeggia la loro fiamma.
Alito di fanfare e tamburelli non familiari,
lì lento canticchia e vaga in altezza.
Cosa sono le misère parole ? Sembianza d’insetti !
Eppure mi obbedivano queste creature.
1949
Poesia / Nikolaj Zabolotskij (traduzione e cura di Amedeo Anelli), pp.116,117.
Les lucioles
Les mots sont comme des lucioles aux grandes torches.
Tant que tu n’es pas concentré et que tu n’as pas regardé dans le noir
inconsistante et faible est leur flamme virginale
et peu visibles elles sont comme un grain de poussière en mouvement.
Mais regarde-les au printemps dans le sud, à Soči,
où les lauriers-roses s’assoupissent dans une somptueuse couleur,
où un océan de lucioles s’enflamme sur les abysses de la nuit
et les vagues sur le rivage dans un sanglot se brisent en vol.
Rassemblant le monde entier en un seul souffle
sous tes pieds la terre se dérobe,
ce ne sont pas leurs lumières qui parlent de l’univers
mais en de lointains orages ondoie leur flamme.
Un souffle de fanfares et de tambourins inhabituels
fredonne là faiblement et s’égare dans les hauteurs.
Que sont les pauvres mots ? semblant d’insectes !
Et pourtant, elles m’obéissaient ces créatures.
Traduction inédite de l'italien : Angèle Paoli
Kamen’, Rivista di poesia e filosofia, n°66, 2025, Libreria Ticinum Edidore
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Nikolaï Alekseïevitch Zabolotski (1903-1958) a été l’un des poètes les plus importants du XXe siècle. Pourtant peu connu en Europe, il fut un innovateur dont la poésie est une brillante combinaison de classicisme et de modernité (qui tient compte, en particulier, de l’expressivité de l’avant-garde). Ses premiers poèmes ont été publiés dès 1927 dans les revues littéraires de l’époque. Dans le même temps il fréquente les cercles littéraires de Leningrad où il se lie d’amitié avec Daniil Harms et Alexandre Vvedenski. Avec ses compagnons ainsi qu’avec Igor’ Bachterev, Boris Levin Konstantin Vaginov, il fonde OBERIOU (acronyme d’Association pour l’art réel), qui se réclame de l’aile radicale du Futurisme, selon Maïakovski et Khlebnikov. Passionné de littérature scientifique et d’art, il entre en contact avec Kasimir Malevitch. La violente critique sociale contenue dans ses poèmes notamment dans « Le Triomphe de l’agriculture » (1933) lui vaut en 1937 d’être accusé d’appartenir à un groupe subversif. Arrêté en 1938, il est condamné et envoyé au goulag de Karaganda (Kazakstan). De retour du goulag en 1944, il se consacre à la traduction en russe moderne russe du médiéval Dit de la Campagne d’Igor ; il traduit ensuite le poème épique géorgien du XIIe siècle Le chevalier à la peau de panthère de Chota Roustaveli, ainsi que nombre d’autres textes de poètes géorgiens. Ses derniers recueils poétiques furent publiés en 1948 et en 1957. Sa poésie riche de philosophie et de réflexions sur la nature est nourrie par l’étude des auteurs les plus divers, russes mais pas uniquement. Zabolotski est un poète de la violence, une violence qu’il ne cesse d’exprimer. La vie n’est qu’un enchaînement de luttes perpétuelles. La nature elle-même est un emprisonnement. Pour échapper à la douleur de l’existence, il faut civiliser la nature, c’est-à-dire l’humaniser et la rendre raisonnable. Cette utopie est conforme aux idéologies de son temps qui vont de pair avec une grande transformation économique et sociale.
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NIKOLAÏ ZABOLOTSKI
Source
■ Nikolaï Zabolotski
sur Terres de femmes ▼
→Nikolaï Zabolotski, La Fille laide et autres poèmes (1955), traduit du russe par Jean-Baptiste Para et Léon Robel, revue Europe, revue littéraire mensuelle, n° 986-987, juin-juillet 2011,
→ Poète (poème extrait du Loup toqué)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de l'Encyclopædia Universalis) une notice bio-bibliographique sur Nikolaï Zabolotski,
par Claude Kastler
→ (sur En attendant Nadeau) Zabolotski : un oubli réparé, par Christian Mouze
→ (sur Œuvres ouvertes) Nikolaï Zabolotski | Testament
→ (sur Les Hommes sans Épaules) une page sur Daniil Harms
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