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Portrait de Robert Ganzo : Source
CHANSON POUR ROBERT GANZO
Prosopopée
Tout a commencé comme toujours
Par le commencement : j’étais seul
En mon enfance, comme en exil.
Ébloui de rien, transfiguré
Ce jour-là par le ruissellement
De la pluie sur la vitre et l’affiche
D’un film, je regardais à l’envers
Délirer les flammes de l’enfer
Dans la nuit de Maracaībo.
Maracaïbo, ce mot longtemps
M’a servi à réchauffer mes jours
Avec les couleurs de ses voyelles
Et ses airs de danseur de tango.
Longtemps sans rien savoir de toi, rien
Que ce nom inconnu et qui chante,
Je t’ai attendu comme un vent neuf
Dans mes voiles, cher Robert Ganzo,
Et le jour sur Maracaībo.
Et c’est par un seul de tes Tracts, nets,
Fraternels et révolutionnaires,
Que tu m’emportas. Ca tombait pile,
J’avais vingt ans, je m’ennuyais ferme
Toi, au même âge, touchais à tout :
Théâtre, misère, poésie
Pour rester digne, libre et tonique
A Montmartre en ces temps héroïques
Loin, très loin de Maracaïbo.
Bouquiniste sur les quais de la Seine,
Robert voyait danser l’Orénoque
Et Ganzo le chantait sur huit pieds.
Fargue, Larbaud, touchés en plein cœur
Le baptisèrent poète unique
Avec son nom, sa voix et le sel
De la langue et la terre nouvelle
Où, du fond des siècles, l’attendait
La splendide Vénus de Lespugue.
N’importe la guerre qui s’avance,
La poésie entre en résistance :
Ganzo dédie Rivière à ses filles.
Il écrit Domaine en quatre mois.
Puis lance ses Chansons et ses Tracts
Pour remettre Paris dans Paris.
La Gestapo l’arrête, il s’envole
Moitié colibri et s’en va peindre
Le bonheur d’être au cœur du miracle.
Miracle d’être dans l’univers
Cette goutte d’eau qui tient la mer
Par la mer, et qui la fait monter
Au ciel avec des mots éperdus.
C’est ceux-là mêmes que tu nous laisses :
Sept opus pour une symphonie,
Tous plus vifs et verts que l’Orénoque
Plus forts que la joie et plus limpides
Que mes yeux d’enfant cherchant Ganzo
Dans la nuit de Maracaïbo.
Guy Goffette, « Chanson pour Robert Ganzo » in Europe Septembre-Octobre 2024, pp.176,177
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GUY GOFFETTE
Ph. D.R. Source
■ Guy Goffette
sur Terres de femmes ▼
→ La Déchirure du ciel, in Éloge pour une cuisine de province, Gallimard, Collection Poésie, 2000
→ Jalousie
→ Je me disais aussi…
■ Voir aussi ▼
→ (sur Terres de femmes) 23 janvier 1947 | Mort de Pierre Bonnard
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