<<Poésie d'un jour
" un visage éperdument aimé " source
Temps de crise et d’inquiétude, la peste,
foyer mal éteint, se rallume à intervalles,
les hivers longs et froids entraînent de mauvaises
récoltes, signe néfaste des astres,
en mil cinq cent treize le siège de Dijon a réveillé
le spectre de la guerre – celle de Cent Ans
quelque soixante années plus tôt n’est pas si loin –
face à de pareilles menaces,
tu réponds, Maître, par ton art,
tu traduis dans la pierre ce que tu portes en toi,
la force dans laquelle tu sens et tu saisis
la vie, si âpre soit son goût,
si l’idée de la mort domine ton époque,
si tes contemporains familiers de l’horreur,
goûtent, réclament les évocations morbides,
tu crois à la vie, notre bien le plus précieux,
tu en célèbres la beauté
partout où tu la trouves, tu as à cœur d’opposer
à sa fragile apparition,
la pierre que tu sculptes, solide, pérenne,
le réalisme macabre ne t’intéresse pas,
pas plus que les hideuses fantasmagories en vogue,
comme ces danses de squelettes
entraînant les vivants, peu te chaut d’illustrer
le sort égal de tous, riches et pauvres,
jeunes ou vieux, devant la mort,
ni son irruption brutale, telle qu’Holbein
la représente au milieu du travail
ou des jeux, non, tu t’émeus devant tout
ce que la vie te montre
-êtres, choses- faibles, éphémères, qu’importe,
chaque spectacle, chaque personne t’inspire
une tendresse que tu confies à la pierre,
alors, s’agissant d’un visage éperdument aimé,
comment s’étonner que tu l’aies placé au centre,
précisément en contrepoint
de celui du mort, comme inachevé,
qui déjà se perd dans l’informe,
dans l’aura de ce doux visage, entouré de ses proches,
l’égoïste crainte de la mort a fait place
à la profondeur du chagrin de ceux qui restent,
à leur ultime compassion mêlée de soins ultimes,
c’est désormais l’amour, lui seul, qui parle,
le tien, Maître, rebelle à la pensée
que ce corps de femme se décompose un jour
-Corps féminin, chante Villon, qui tant est tendre,
Poly, souef, si précieux,
Te fauldra il ces maulx attendre ?
Oui, ou tout vif allez es cieulx-
ton amour, Maître,
a imprimé dans la pierre une émotion qui témoigne
d’un combat victorieux.
Salomé, détail de la « Mise au tombeau » de Chaource, photographie Agnès Fabe
Béatrice Marchal, Salomé, ma salamandre, L’herbe qui tremble 2024, pp.74, 75, 76.
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BÉATRICE MARCHAL
Source
■ Béatrice Marchal
sur Terres de femmes ▼
→ Au pied de la cascade (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ Dans l’écho de pas anciens (poème extrait d'Élargir le présent)
→ [Quelle part de soi a-t-elle sombré] (poème extrait de Résolution des rêves)
→ Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ [Ce que tu as cru voir courir à vive allure] (poème extrait d’Un jour enfin l’accès)
→ Gardé vivant, peintures de Jean-Marc Brunet, Poésie, Al Manar 2022
→ Béatrice Marchal lit Marcher dans l’éphémère ( lecture d'Angèle Paoli ), Cahiers du Loup bleu, Les Lieux-Dits, 2022,
→ Michel Passelergue, Un roman pour Ophélie, suivi de Douze monodies au bord de la nuit Éditions du Petit Pavé, 2022, (lecture de Béatrice Marchal )
→Danièle Corre , Ces ombres qui nous peuplent; Éditions La feuille de thé, 2023.
Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Al Manar) la fiche de l’éditeur sur L’Ombre pour berceau
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