<<Poésie d'un jour
"si haut que le bruit de la mer en fut brisé"
Photographie de → G.AdC
(Aller vers le plus anciennement perdu
comme vers l’avenir
de la perte annoncée
Rêver sa préhistoire
comme fin de sa propre histoire telle
qu’elle ne manquera pas de se réaliser)
Dernier rêve de l’enfant. Entendre : il fut sans cri. Entendre :
le cri fut par lui excédé
Un livre venait d’être lu où des bruits de guerre étaient
écrits. Chacun aurait pu suffire : bruits de sirène, de fusils,
de mitrailleuses, de canons. Bruits de la condition humaine.
Un seul y parvint. Il sifflait, saturant de sa stridence l’espace
du rêve de l’enfant. Strident le bruit s’amplifiait saturant
de son sifflet l’espace du crâne de l’enfant chaque fois
qu’était précipité dans la chaudière de la locomotive un
prisonnier vivant. Le dernier prisonnier était le père. Au
réveil il était trop tard pour le cri. L’enfant avait ordonné
l’exécution
(Ce qu’écrire ne fera pas entendre
ce qu’une voix
un cri
si haut que le bruit de la mer en fut brisé
Ce que la mer ne fera pas entendre
ce qu’un bruit
même brisé
même là où il n’y aurait pas la mer
As-tu entendu le bruit de la guerre ?)
Ce qui s’arrête quand s’arrête la guerre c’est le bruit que
Fait la guerre
Ce qui s’arrête quand s’arrête la vie c’est le bruit que fait la vie
Ce qui s’oublie, c’est le bruit que fait la voix
Tu as oublié le bruit de sa voix
De celui qui est mort tu dis : il ressemblait à son portrait
Il ressemblait à son image. Tu as oublié le bruit de sa voix
Le bruit de sa voix est ce que son image ne retient pas.
N’imagine pas. La perte de la voix le manque de l’image
L’inimaginable même
Ceux dont on écoute la voix, même morts, sont quand on
écoute leur voix toujours vivants. Présents.
Extraordinairement.
Même enregistrée leurs voix est présente extraordinairement
et eux-mêmes extraordinairement présents par leur voix.
Habitant à nouveau le temps. Rendu au flux du temps.
Mobiles, se déplaçant à nouveau le long du flux du temps
par leur voix. Son et mouvement
Son et mouvement, leur voix, là. Réellement là et eux-mêmes
et eux-mêmes et eux-mêmes…
Comment supporter qu’ils n’y soient pas, ne soient plus,
mais où ?
Où ?
Leur voix comme audibilité de leur souffle
Leur souffle audible
Le halètement de leur souffle audible dans le portement
des syllabes
les ondes audibles de leur souffle leur allongement porté
par le soufflement des syllabes le syllabement de leur souffle
le phonément, le follement, le grènement, le miettement,
le hâchement, le déliement, le menuisement, le clapotement,
l’aiguisement, le rauquement, l’aggravement, le granité, le
menuité, le répété menu mâchonnement, le vibrement, le
bégaiement, l’allitération, lallation, mammation, trémola-
tion, bêlement, bourdonnement, ululement, éructement,
lèvitement, haltération, hautecontrelévation,
paroxysation, modulation, mélodiation, onduleuse ondoition,
flexueuse inflexion, mélopeuse méréditation.
Françoise Clédat, "V, la parole même (2)" in EtnaXios, L’Amourier 2008, pp.103, 104, 105, 106, 107.
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