<<Poésie d'un jour
Pensées diurnes
Il est 19h30, atterrissage à Montréal
La voix de l’hôtesse nous demande de retarder notre montre de six heures. Nous allons donc revivre les six heures qui nous ont déjà paru si longues. Revivre n’est pas le mot, bien sûr. Ce qu’il faut reprendre c’est le temps, six heures de temps et ça, tu le remplis comme tu veux. Si possible autrement. Quoi de commun en effet entre six heures coincée dans une carlingue et six heures de découverte impatiente…
Pensées nocturnes
Écrire, la mer
C’est joli l’intérieur d’une main qui écrit, avec les doigts recourbés, d’un rose nacré, comme le cœur d’un coquillage. Oui, un coquillage. Est-ce pour cela que j’entends la mer lorsque j’écris, pourtant dans le silence.
Pensées diurnes
Shoot aux bonbecs
Un carambar, un haribo, vont-ils me consoler des souvenirs perdus ?
Tandis qu’on s’éloigne…
Autour d’un feu, les gens ne sont pas les mêmes : non seulement chacun est différent, mais les relations entre eux changent ; quelque chose se dissout et s’élève comme, avec les escarbilles dans l’air du soir. On se sent différent et on sent bien que l’autre à ses côtés l’est aussi. Mais de tout cela on ne se rend compte que plus tard, dans l’odeur persistante de la fumée, tandis qu’on s’éloigne.
Oxymore de vie
Ce qui me frappe, c’est que les choses peuvent marcher TRES bien sur un fond de catastrophe généralisé.
Pensées nocturnes
Dressage mal-t-à propos
Dresser en femme d’intérieur une future femme d’extérieur, quel ratage !
Pensées diurnes
Doriane Gray
C’est incompréhensible. Avec toutes ces idées noires que j’ai passé ma vie à ruminer, j’ai toujours gardé un air de fraîcheur, le teint rose, l’œil vif, le nez en trompette… Incompréhensible…
Pensées nocturnes
Ubiquité rêvée
Un soir, il m’est arrivé d’avoir ÉGALEMENT envie de lire deux romans achetés ensemble et entamés l’un après l’autre pour la raison anecdotique que l’un se trouvait ici et l’autre là, au gré de mes fréquents changements de cap entre ici et là. Les voyant enfin réunis, l’idée m’a traversé l’esprit un soir, en me couchant un livre dans chaque main, de les lire en même temps. C’était comme un rêve : être emplie, gavée de lecture. Et mes deux héroïnes, qui d’ailleurs avaient à voir l’une avec l’autre, les avoir toutes les deux ENSEMBLE, les faire se rencontrer.
Mais dans la réalité, tandis que je retrouvais celle que j’avais laissée de côté depuis plus longtemps, l’autre est restée sur mes genoux.
Rêvouréalité
Parfois je fais la planche entre rêve et réalité. L’équilibre est difficile à tenir longtemps. Souvent je coule.
« Un caillou dans la chaussure »
J’ai toujours eu « un caillou dans la chaussure ». Ma mère me disait « toi, ça ne va jamais ! » et mon arrière-grand-mère (elle qui avait survécu à l’épidémie de cholera ayant décimé sa famille et me racontait l’enterrement de Victor Hugo comme si j’y étais) « toi, il te manque toujours deux liards pour faire un sou ! » et c’était vrai, je ressentais en permanence une gêne, un manque. Je n’étais pas assez mûre pour dire qu’en fait je ne me sentais pas à ma place, je n’étais pas d’ici. Ici j’étais à l’étroit, j’avais soif d’autre chose.
Un prêté pour un rendu
J’ai toujours été « un caillou dans la chaussure » pour ma famille, mes chefs d’établissement, mes collègues… je n’ai jamais été incluse, jamais appartenu à, été comme : différente à tout jamais, mais incontournable (ce n’est pas le mot que je cherche) comment le dire autrement : un caillou dans la chaussure.
Pensées diurnes
Cadeau du ciel ?
Clémence du temps en ce lendemain de catastrophe : maintenant il pleut debout !
Christine Duminy-Sauzeau, il Pleut debout, pensées diurnes & nocturnes, Atelier du Hanneton, 2023,pp.9, 16, 17, 27, 28, 29, 32, 36, 43.
Christine Duminy-Sauzeau est membre du collectif Écrits/Studio depuis 2017. Voici ce que Christine Duminy-Sauzeau écrit d'elle:
« Je n’ai jamais cessé, dans les marges d’une vie consacrée à la recherche, la formation et la pratique des ateliers d’écriture, en France ou à l’étranger, ainsi qu’à la vie culturelle au sein d’une Maison de poésie, de poursuivre mon activité première, depuis l'enfance, qui est le rêve (au sens classique, qui supposait un travail mental sur le réel ou sur soi). Nourrie de lectures lentes, j'ai toujours été fascinée par les mille et une façons de dire, de cerner paysages, situations, sensations, souvenirs, pour les évoquer le plus justement possible, avec la distance qui permet aussi l’humour et même l'ironie.»
CHRISTINE DUMINY-SAUZEAU
■ Sur Terres de femmes▼
→Des choses simples, Zinzinule Éditions, 69006 Lyon, 2019, s.f. Photographies : Géraldine Dubois.
■ Voir aussi ▼
→ (sur Encéphalogramme du spectacle) un entretien de Pauline Catherinot avec Christine Duminy-Sauzeau
→ le site de Géraldine Dubois
→En ce petit matin de nuit (Éditions Les Monteils – 2019 – Gravures de Marc Granier)
→Des choses à faire avant de mourir (Éditions Drosera – 2020 – Collages de C & C Ballaré)
→Le vert des citrons (Éditions Les Monteils – 2021 – Gravures de Marc Granier)
→Arbres d’hiver (Zinzinules éditions – 2022 – Photographies de Géraldine Dubois)
→Pluie (Atelier Catherine Liégeois – 2023 – Gravures de Catherine Liégeois)
→Mon confinement à moi (Éditions Drosera – 2023)
→Il pleut debout ! pensées diurnes & nocturnes (Atelier du Hanneton – 2023)
→Bribes (Atelier Catherine Liégeois – 2023)
→Lichens (Atelier Isa Slivance – à paraître 2024)
Commentaires
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