Lecture
On ne voit bien le monde qu’en marchant
Notes buissonnières
Marchant en bord de route en direction de V., nous surprenons une grosse chenille verte qui se traîne sur le goudron. Aussitôt, Zelle : « Ah non, j’ veux pas qu’elle se fasse écraser ! » Et de lui planter sous le nez le bâton de frêne qu’elle venait d’écorcer. La chenille s’y enroule. Elle restera ainsi durant toute la promenade. Sur le chemin de halage où nous nous reposons au retour, Zelle lui bâtit un petit enclos avec des cailloux. « Ça y est, dit-elle, je l’ai domestiquée. » Nous quittons la berge. Délaissant la baguette, la chenille passe sur une feuille de marronnier, tombe à terre. Zelle la ramasse, prenant soin de ne pas effleurer les poils qui hérissent son abdomen. De retour à la maison, je consulte le Guide des insectes. Nul doute, il s’agit bien de la chenille (mature) du Pavonia pavonia ou Petit-paon-de-nuit.
Depuis quelque temps à la recherche d’un mot pour dire la lumière rasante de septembre au-dessus des prés secs – disons pour l’approcher, la cerner, la saisir… Mais comment le choisir, ce mot – existe-t-il d’ailleurs ? -, comment l’élire, le faire sien. Sinon en vertu de sa capacité à éclairer à son tour.
Curieuse impression lorsque, coiffé d’un chapeau, on a marché une journée durant sous le soleil ou la pluie, que de sentir encore la présence de ce galurin alors qu’on l’a retiré depuis quelque temps déjà, au point de porter par intermittence une main sur sa tête pour le remettre en place.
Zelle, écoutant la radio où l’on annonce une émission autour d’Aragon : « Ça m’embête quand c’est sur les poètes… » Puis, marquant une pause : « Je préfère quand c’est sur les animaux. »
Écrire pour garder mémoire, certes. Pour oublier, aussi. Pour perdre trace. Comme on lâcherait une bulle, qui monte qui monte… puis disparaît. S’abandonner, voilà le maître mot.
S’arrêter. Repartir. Plus loin, toujours plus loin. En marche.
Tenir à quelques gestes ordinaires comme toujours, autant de points dans ma vie dont tu ne sais aujourd’hui – pas plus qu’hier du reste - comment recoudre les morceaux, ni quel sens lui donner, tu ralentis le pas, fais halte. Quand une coccinelle se pose sur ta main. En sait-elle plus que toi ?
La prose est trop pleine d’elle-même, trop fermée pour prendre place dans l’été. Lui préférer le vers. Qui ouvre.
Pascal Commère, « On ne voit bien le monde qu’en marchant », Notes buissonnières in Diérèse, Poésie & Littérature n° 88, automne 2023, pp.166, 167.
_____________________________________________________________________________________________________________________________________________________
_____________________________________________________________________________________________________________________________________________________
PASCAL COMMÈRE
Source
■ Pascal Commère
sur Terres de femmes ▼
→ [Blanche, la gelée aux quatre coins] (poème extrait de « Songe du petit cheval déplacé en terre franque »)
→ Mémoire, ce qui demeure (note de lecture d’AP)
→ Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)
→ [Crayonné paysage] (poème extrait de « Sur une ligne de crête en Toscane »)
→ [La courbe des fumées là-bas] (poème extrait de Territoire du Coyote)
→ Territoire du Coyote (note de lecture d’AP)
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur Terre à ciel) une page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
→ (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
→ (sur le site de France Culture) Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.