<<Poésie d'un jour
" La mer est mon horizon de vie"
photo-collage → G.AdC
Glen Coe
Je suis fille de la mer.
Les noces de Thétis
et de Pélée se sont déroulées
au large de la Balagne du côté
de Monte Genovese.
Mon île est une montagne
qui flotte sur les eaux.
La mer est mon horizon de vie
et la montagne un permanent appel.
La montagne d’ici souvent
est coiffée d’un nuage
un nuage qui passe ou se pose
c’est selon une caresse qui effleure
la roche les pacages les brûlis
de l’été précédent.
De la plage où je me love
entre galets et posidonies
je la regarde qui file en sens inverse
de mon regard
elle navigue au long cours
des longues journées d’été
je la laisse voguer à son aise
il fait trop chaud pour grimper
à l’assaut de son téton cendré.
Pourtant immobile tantôt naviguant
dans le bleu elle semble si proche
il suffirait de quelques sauts de chèvre
d’un mouvement de corde lisse
d’une grimpée prenant appui
sur les cailloux de berger
pour atteindre son sommet arrondi
pour se hisser entre deux mers
Est/Ouest Ouest/Est.
L’œil ébloui scrute à travers clignements de cils
les passes les failles sombres où s’engouffrer
les roches escarpées où prendre appui
les touffes de maquis à prendre en repères.
plus sombres non plus clairs.
L’œil patient s’égare dans l’éclat
des cascades éphémères
sinue dans la lumière changeante
d’une pente à l’autre ses variations de couleur
lever du soleil soleil couchant.
L’œil parcourt les distances
franchit les écueils rebondit
d’un pan à un autre et ainsi sans bouger
de la plage tu vagabondes voyages
imagines en un clin de paupière
ce qui se cache derrière l’autre versant.
Tu croises en chemin les pierres écrites
incisées de striures millénaires
tu penses aux premières populations
qui ont arpenté ces plateaux et franchi ces à-pics
caracolant dans le fouillis des rocailles.
Tu as en mémoire le Pinzu a a Vergine
de ton adolescence les stèles dressées en cercle
offrandes à la lune ou au soleil nul ne sait.
Et de là sans crier gare tu files d’un bond
vers les montagnes du Glen Coe
vallées glaciaires et arrondis déboisés
si lisses si uniformes que tu imagines
pouvoir gambader parmi les moutons
moutonnants et de là encore
grimper tout en haut sans effort
le sommet est si proche.
Mais la montagne est un leurre
qui se joue de ton regard
qui se joue de ton rêve
il te suffit de te lancer à travers tourbe
pour comprendre que tu te trompes
que les efforts pour avancer dans le paysage
ne sont pas à ta portée
que l’errance guette si la fantaisie te prend
de t’aventurer dans la rocaille
que ton pied va te trahir
à la première embûche
toi la randonneuse inexpérimentée.
Tu oublies que la montagne est vivante
que sa vie lui appartient
que tu n’es là que de passage
une intruse parmi tant d’autres
qui te pliera à elle et non elle à ton désir.
Elle est là montagne docile
à portée de regard animée de cours d’eau
qui dévalent sans obstacles
soudain recouverte de nappes givrantes
de brumes imprévisibles
qui masquent ses formes en sculptent d’autres
qui t’avaient jusque-là échappé.
Soudain interrompue par des lochs verdoyants
vibrants de chatoyantes couleurs
dans lesquelles elle se mire
dupliquant à l’envi dans la plus exacte perfection
ses arrondis trompeurs.
Tu voudrais ne pas poursuivre le voyage
t’arrêter là un moment pour amadouer
ses courbes la faire tienne un peu
la retenir entre les mailles de ta mémoire
écrire peut-être oser quelques mots
et tu ne peux tant elle t’obsède
et t’oppresse et t’attire l’inaccessible
l’indomptable montagne des Glen Coe.
Tu es là devant elle immobile
loin de tes montagnes aux lacs sublimes
et tu n’as rien vu d’aussi beau
d’aussi exaltant que ces Glen Coe
elles t’ont prise par surprise
à en couper le souffle elles déplient et déploient
à l’infini leurs lignes glaciaires
aussi impressionnantes par l’âge
et par la force que les petites fleurs
rampantes si modestes fleurs des montagnes
qui s’arriment à la pierraille
résistent vaillantes au froid et à l’âpreté
du sol et du climat
petites plantes saxifrages silènes acaules roses
et lotiers corniculés du même jaune d’or
que celui des genêts bordant de massifs odorants
ta route
et ces champs d’herbe à coton
qui tremblent sous les souffles d’air
magie de ces tiges ouatées
qui ponctuent de leur laine aérienne
la rigidité de la rocaille
et la gluance de la tourbe.
La montagne est vivante
qui vibre à l’unisson de l’air de l’eau
de la roche de la sphaigne frisottée
du climat des oiseaux
des phoques et des parfums arctiques
elle est vivante intensément
tu n’as qu’à fermer les yeux
pour la retrouver intacte et vierge
de cette virginité millénaire
qui est la sienne et qui te laisse
ce sentiment enivrant d’infini
dans une infinie beauté.
Canari, le 16 juin 2023
Angèle Paoli, « Glen Coe » in Montagnes, chemins d'écriture,
Une anthologie conçue par Jean-Pierre Chambon, Voix d'Encre 2023, pp.134,135,136, 137.
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