<<Poésie d'un jour
mots de pluie qu’on essore
le déluge des hirondelles
ça monte
Il est là. Il a écrit toutes les voyelles dans son petit cahier. On
dirait qu’elles s’envolent. Les mots-oiseaux frappent à la fenêtre.
La plaie est partie.
Il redit lentement chaque lettre, comme s’il la prenait dans ses
bras. J’aimerais être une voyelle. Mais je suis trop vieille, trop
bossue. Je ne suis plus qu’un T dont le trait a viré totalement sur
le côté. Vous reprendrez bien un peu de thé ?
Je garde les apparences, les cérémonies. C’est important pour
tenir bon. Darjeeling, grève d’une ampleur inédite, ils l’ont dit
tout à l’heure dans le poste. Il me raconte son pays, la pauvreté.
Puis il me demande un poème.
On termine toujours comme ça, par un poème de Miguel. Il
me propose de lire aussi en castillan. Au début, je refusais. Mais
quelque chose se passe, il y a comme une fissure, on dirait que
la cage s’ouvre un peu.
Ma bouche réapprend les mots de Miguel. Je ne pensais pas que
ce serait un jour possible. Mais dans un poème, c’est différent.
Les mots-oiseaux ne sont plus prisonniers, ils vont et viennent
en chantant.
Il y a aussi quelques biscuits qu’on grignote avec le thé. À deux,
j’ai plus d’appétit. Il rit. Ses dents de neige. Puis il dit au revoir
madame Adama.
Je le regarde s’éloigner, légère. Aujourd’hui, je me lève à sa suite.
Il y a comme un printemps. J’ai des ailes aux jambes. Pas besoin
de canne. Je vole.
Crac, quelque chose s’est brisé. Icare ! Non, voilà, je me souviens
de son prénom, Ishvar. Une belle jambe quand les étoiles filent.
Christel Visée, Les mots d’Adama, La Crypte (le pays qui grandit) 2022, pp.46,46.
C H R I S T E L V I S É E
Belge d’origine, Christel Visée a vécu en France, en Espagne et aux États-Unis.
Correctrice pour différents éditeurs, elle a aussi traduit en français la Poet Lauréate amérindienne Joy Harjo :
(Carte pour le monde à venir, l’Arbre à paroles, 2019.)
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