Mérédith Le Dez, Alouette,
Le Manteau & La Lyre,
Éditions Obsidiane. 2023.
Lecture de => Marie-Hélène Prouteau
Alouette est le huitième recueil paru dans l’œuvre poétique de Mérédith Le Dez déjà saluée à plusieurs occasions.*
Ce beau recueil, inclassable, prend la forme d’un récit en vers libres. Une sorte de fable du monde qui touche à la puissance d’un mythe du temps passé. Mérédith Le Dez s’y fait conteuse, réussissant, par une grande maîtrise, à introduire la narration dans l’écriture poétique, tout en lui gardant toute sa vigueur inventive et subtile.
Le prologue en italique qui précède les 24 chants donne le ton. « Et lointainement / recommence le monde ». Nous sommes hors du temps, hors de la réalité. Au plus près du monde intérieur de la poète-narratrice. Les formules, « Il y a longtemps », « c’était un temps », plongent le lecteur dans un temps indéfini. Et dans un lieu mystérieux, « on ne sait quel finistère », empli de la présence « des légendes ».
Cet horizon du poème a partie liée avec la Bretagne, présente dans l’évocation des mois noirs, miz du, comme dans la beauté des images :
« La mer
la mer toujours
migrante
et sa danse de liane
et son sang algué »
Deux vers brefs, lapidaires, « J’ai marché si longtemps / j’ai marché dans mon oubli » se voient parés d’une aura étrange. Repris en une incantation musicale tout au long des 24 chants, ils produisent une impression puissante, comme s’il s’agissait d’un message infiniment vital.
Qu’a donc de si mystérieux cette incantation pour nous toucher à ce point ? Elle noue le destin de l’alouette, de la poète et d’un homme qui marche. Deux êtres, deux solitaires. Le vagabond qui marche, la poète, en proie, chacun, à leur destin. De cet homme, nous ne saurons presque rien, sinon qu’il a des « yeux sarrazins » et qu’il s’occupait d’abeilles. De la poète, non plus.
Le lien, entre eux, est fort, énigmatique, obéissant à la logique du monde intérieur. Est-ce un rêve, est-ce un fantasme ? Voici que la poète, hantée par cet homme, éprouve un troublant dédoublement de personnalité : « j’ai pris la place de l’homme / qui marche et dort dans les granges ». Véritable vertige de dépossession. Je est un autre.
L’alouette, la poète qui écrit, le vagabond qu’on dirait sorti de Beckett : ces trois-là forment une compagnie singulière. « Nous n’avons rien à nous dire / l’homme et moi ». Pourquoi chercher du sens là où il n’y en a pas. Le monde est ainsi fait chez Mérédith Le Dez et il tourne mal.
La réalité de ce trio a la beauté du rêve, du mythe, de la « légende ». Est légende, dit l’étymologie, ce qui est fait pour être lu, nous rappelle pertinemment l’étymologie. La poésie, qui permet à la fois l’oubli nécessaire à la vie et le non-oubli garant de la mémoire, est rappelée à l’ordre, à plusieurs reprises dans le recueil : « Poésie poésie / qu’as-tu fait de ton visage / tu es défigurée ».
Face aux forces de « la nuit de la nuit », par bonheur, il y a l’alouette, celle de la comptine d’enfance. Créature frêle au milieu des décombres, elle incarne un indéfectible principe de vitalité. Obstinément minuscule mais résolument vaillante, elle lance son chant de haute visée.
Elle palpite encore et toujours d’une grâce qu’on dirait inespérée. À cette comparse si petite est dévolu par la poète un rôle essentiel, celui de maintenir possible la promesse de l’amour, au sens large, amour de la nature, des animaux, amour des êtres :
« un visage
d’homme endormi
un rêve de visage »
Telle « l’alouette messagère du matin » de Roméo et Juliette de Shakespeare, elle est porteuse de quelque germe de joie:
« la mer
recommencée
et la joie jubilante
de l’oiseau merveille »
Tout au long du recueil, Mérédith le Dez trame ainsi le fil émotionnel d’une quête-reconquête de la vie, de la paix après la guerre. Cette guerre qui était au cœur de son recueil Journal d’une guerre. Des vers semblent en être l’écho direct, ainsi « la cavalerie des fantômes », nouant ainsi ces deux recueils par un effet de miroir.
Des images de ces temps sombres défilent, telles : « la terre fut rasée », la « Forêt jamais recommencée » :
« guerre après guerre
disparurent
hommes et livres
dans la nuit de la nuit »
C’est toujours de façon oblique, allusive, voilant les choses pour donner plus de place à l’imagination que l’écriture de Mérédith Le Dez livre les peurs, les joies, les commotions, les alertes. Le lecteur cherche des repères, des points d’appui, tente de déchiffrer une vie, un autre temps que la poète veut capter, prise entre veille et sommeil :
« Je marche dans mon oubli »
Cette difficile quête de la paix ne serait-elle pas la métaphore d’un paysage intérieur, tout en tensions, de la poète ? Quelles épreuves, quelles pertes, quelles blessures intimes se cachent dans cette « peine », dans ces « capitulations » suggérées ? Et dans ces images, de « fureur et mystère », du « pré vénéneux », discrets clins d’œil à René Char et Apollinaire ?
Cette écriture à la pointe sèche, sans pathos, percutante, Mérédith Le Dez la poursuit depuis une quinzaine d’ouvrages. Dans son écriture poétique, comme dans ses romans. Mérédith Le Dez a une prédilection pour le mystère des vies démunies. Pour l’opacité des êtres touchés par une fêlure, avec qui partager un brin d’humanité.
Dans mon itinéraire de lectures et de critiques, j’ai été sensible à cette dimension fortement présente dans ses œuvres de prose que j’ai recensées, Le Cœur mendiant et Un libraire .
J’ai lu Alouette plusieurs fois de suite, je sais que je le relirai encore. Il y a dans ce recueil un rare pouvoir de songe et un vrai plaidoyer pour la force de la parole poétique.
MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU
Source
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*Alouette a reçu le prix de la Bourse de Poésie Gina Chenouard de la SGDL. Journal d’une guerre (Folle Avoine), Prix Yvan-Goll 2015, et Cavalier seul (Mazette), Prix Vénus-Khoury-Ghata 2017.
Image : DR / Google images