→ Michel Diaz, Sous l’étoile du jour
Rosa Canina éditions, 2023
Lecture d’Alain Freixe
M I C H E L D I A Z
Sous l’étoile du jour sur →Tdf
Il y en a qui écrivent comme on parle, pour la montre ; d’autres, n’écrivent que pour s’effacer. Ceux-là sont les compagnons de la traversée. Parmi eux, je vais à Michel Diaz, main tendue.
Avec ce dernier livre, on le retrouve sur la route, plein jour, étoile toujours présente comme signe d’un hasard heureux au ciel des fixes.
De la marche à l’écriture, des terres traversées au pays de l’encre, le saut est heureux. Michel Diaz écrit comme on marche, les mains, les pas comme les yeux au-devant de soi, sans savoir ni où l’on va, ni à la rencontre de quoi si ce n’est ce qui de la réalité traversée nous échappe, cette part d’inconnu qui s’ouvre devant soi, s’y enfoncer, la voir se dérober et rester travaillé par le désir de tenter de l’exprimer. Tel est « l’homme qui marche » de Michel Diaz, toujours « il s’en vient et passe », toujours « il va » « sur des terres d’incertitude, son unique patrie ».
Il sait cela. Il sait qu’il est fils d’une blessure qui fonde son humanité. Il sait qu’il vit hors de tout et hors de lui-même, qu’il avance « dans l’ignorance de tout, mêlé à tous et séparé, tournant le dos aux mots dévoyés, à l’imposture et à l’abrutissement généralisés. Obscurément, il sait que quelque chose a été perdu. Quelque chose qui demeurera inaccessible. Quelque chose du côté du « tout qui échappe » Quelque chose comme un paradis perdu. Quelque chose d’inguérissable et qui le voue à toutes les errances et fait de lui un éternel nomade jeté sur toutes les routes.
On ne sort pas du voyage, ce serait là abdiquer. Perdre cette dignité crispée à laquelle tient celui pour qui « l’espace est devant », l’errant des terres incertaines de la langue, d’un « qui va et passe » et qui « s’il s’arrête » devant « le miracle inachevé du monde » qui se donne furtivement, il ne le fait que pour faire étape dans l’éclaircie avant de repartir, fort d’une énergie renouvelée tant c’est vivre qui importe contre tous les nihilismes. C’est aussi cela que sait « le passant de Michel Diaz : faire preuve de cette belle fermeté dont parlait Kafka lorsqu’évoquant « une main tenant une pierre », il la déclarait « heureuse » dans la mesure où elle « ne la (tenait) ferme que pour la lancer encore plus loin, aussi loin que mène le chemin ». Chemin, redisons-le, qui n’existe pas puisque ce sont les pas de qui chemine qui l’inventent.
De poème en poème, c’est une route ouverte qui s’offre à nous qui lisons/ Et c’est manière d’aller sous l’étoile dont la lumière prépare le jour. Cette route, Kerouac l’avait bien vu, est « la grande maison de l’âme », un lieu sans lieu qui se bâtit chemin faisant. Allant ainsi, on ne s’enrichit pas, on se met en marche pour que le chemin s’invente là, sous vos pas, et vous lave de toutes les pluies du ciel et, sous le soleil revenu, vous presse, vous essore et vous sèche. On marche, on écrit pour se détacher, s’alléger et se tourner vers « un soleil nouveau qui n’aura pas brûlé ».
Ce qui tient ces poèmes de Michel Diaz, ce qui tient cette étoile du jour et éclaire comme par en-dessous l’ensemble de ce livre, c’est une force, une poussée, un mouvement qui met en route l’écriture. Une écriture qui combine selon les mots de Bernard Noël « une impuissance à dire et une volonté exaspérée de dire ». Attachée à servir la justesse de la langue, à s’élancer vers le sens, Je verrais volontiers là le signe d’une authentique résistance à cet esprit du temps anesthésié qui est le nôtre et le combat de ceux pour qui les écrits ne sont pas enfantés par des écrits mais le moyen de retourner à la vie et d’explorer la vie par ce qu’elle a de moins usé, une voie directe vers de l’humain en formation.
Alain Freixe sur → Tdf
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