<< Poésie d'un jour
En regardant une peinture d’Henri Michaux.
Marcher, marcher, combien est belle,
À la nuit, la poudre d’or sous nos yeux.
Marcher, marcher, chanter le pas et la ferveur
À la lumière des dernières lampes
Inclinées dans le soir de vieux jardins
Où des corps se reposent
Rompus par la fatigue et les travaux de fièvre.
On les voit à peine, immobiles
Sous les feuillages noirs
Où dansent les insectes.
Ils parlent à voix basse,
Se racontant bien sûr des histoires éternelles
Que nous ne comprenons pas.
Sont-ils déjà de l’autre côté des choses,
Couchés dans les jardins ombreux,
Entre les hautes herbes que fraîchit la rosée ?
Le vent passe sous leurs paupières closes.
L’effroi cogne à peine sous leurs tempes.
Pour seule gloire leur échoit la durée,
L’amour d’un visage,
Et ce pauvre regard que je porte sur eux
En passant dans cette rue que j’emporte au loin.
Dans une pièce qui n’est pas la mienne,
Je lis le livre clair d’un poète
Tandis qu’une lumière diffuse
Peint doucement les pages.
Quelques voix d’enfants me parviennent,
Roulant dans l’ombre de mon dos
Avant de s’évanouir dans le lointain
Où elles disparaissent à petits pas.
Je regarde les pages mais ne vois plus
Qu’une nuit infinie de traits blancs.
Mon esprit volette d’un signe à l’autre,
Puis s’évanouit à son tour dans l’air
Comme les vagues de voix blanches.
Le bruit d’une sirène casse le silence revenu.
Je retrouve mon esprit en miettes entre mes doigts.
Par la pensée, je touche le livre du crépuscule.
Joël Vernet, « À demeurer ainsi au bord d’un soir » in Œuvres poétiques, Tome I, Voir est vivre, Poèmes et petites proses (1985-2021),
En couverture Jean-Gilles Badaire, Loire, Avril 2022, La Rumeur Libre Éditions, 2023, pp.56,57.
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J O Ë L V E R N E T
Source
■ Joël Vernet
sur Terres de femmes ▼
→ L’oubli est une tache dans le ciel (lecture d’AP)
→ Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [lecture d’AP]
→ Décembre 2010 | Joël Vernet, Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [extrait]
→ [De Rimbaud […] tu n’auras jamais rien su] (extrait de Mon père se promène dans les yeux de ma mère)
→ 30 août 1994 | Joël Vernet, Le Regard du cœur ouvert
■ Voir aussi ▼
→ (sur remue.net) Joël Vernet /marcher vers un ciel de pierre
→ (sur Le Nouveau Recueil) Joël Vernet, ou l’esthétique de la trace, par Sylvie Besson (fichier Word)
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