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Lettre à l’inespérée
Ce fut longtemps un sommeil à ras bord. Corps gorgé de poisons à contre-jour. Songes tranchés par des nuages sans âme, appesantis par les éboulis, pierres magnétiques, châteaux à ciel ouvert. Mémoire sous tension, passée au crible d’images vacillantes. Je m’acharnais à survivre – pour vous écrire, pour espérer. Calciné jusqu’à l’os, recroquevillé dans l’obscur, j’attendais tout de votre lumineux silence. Aujourd’hui, je reprends appui sur les mots, j’affûte un poème futur qui glissera sa lame entre dit et non-dit. Il me faut arpenter, d’un pas incertain, l’envers perdu de notre passé à double vue, recueillir un peu de nos dernières nuits incidentes. Absente, vous m’êtes présence fugitive, dans l’instant qui s’évanouit. Je respire, j’imagine, et vous souriez d’être – étincelle, effusion sous l’éclair. J’effeuille à l’infini nos arpèges, nos murmures. L’oubli, enkysté au creux d’heures effrangées qui se fanaient dans la pénombre, irradie à tous les vents. Mais, éveilleuse sous roche, vous avez d’un regard ravivé un verbe ébloui. À travers temps comme au bord de la mort, enfin je vous écris. Prêtant l’oreille au flux, au reflux de tant d’années brûlées au loin par vos yeux, me remémorant le roulis, la folie infusant dans l’ombre, et mille rêves à quatre feuilles. Je vous écris, Ophélie, entre houle et ferveur. Je vous attends – ma fée, mon inespérée.
Mitternacht
Un rêve ? J’entends, sous la rumeur d’eaux souterraines, un chant comme rongé au-dedans. Une fiction d’exil ou l’appel d’un océan lointain. Je tente d’écrire, envoûté par ces divagations de voix gauches et acérées. Je note, et ma main tremble sur la feuille qui se dérobe. Mais je ne fais que décrire une brûlure intérieure, un sang décoloré, quelques remous au passage du silence. Tout ce qui noircira avec l’encre derrière ce poème morcelé : vertige, naufrage, convulsions du sens. Le rivage, affouillé par la nuit, est maintenant hors d’atteinte. Je tais, je fragmente : ce sont des éclairs, des îlots, des angles venus briser le cours nocturne des astres. Sous les doigts qui hasardent des cribles, des étoiles, pourrai-je découvrir enfin, suivant l’écheveau des voyelles, son pays second ? Là où sèche le feuillage du jour… Son pays, son regard retrouvé.
Michel Passelergue, Un roman pour Ophélie, suivi de Douze monodies au bord de la nuit, éditions du Petit Pavé, 2022.
Ph: Marché de la poésie 2014
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