Marielle Anselmo, Vers la mer, Poésie
Préface d’Alain Borer
Éditions Unicités 2022
Lecture d’Angèle Paoli
Le pont Ohashi et Atake sous une averse soudaine
tiré de la série Cent vues de sites célèbres d'Edo
(Meisho Yedo Hiakkei, 1856-1858).
Le secret d’une écriture
Il faut parfois partir très loin et se perdre dans la solitude des îles pour tenter de guérir de la perte de l’autre. Marielle Anselmo interroge ce cheminement « vers la mer ». « Pourquoi suis-je allée /si loin ? ». Pour se sauver de son propre naufrage, peut-être : « s’il y a la mer/je suis sauvée », écrit la poète.
Ainsi Marielle Anselmo fait-elle de sa progression sur la page de Vers la mer, et des lieux qu’elle y aborde, une ascèse qui la délivrerait du chagrin du désamour et de l’abandon. S’égrènent alors, en vingt-et-une étapes, les poèmes, comme autant d’îlots clairsemés entre les îles majestueuses ou industrieuses qu’offrent la Grèce ou le Japon. Sifnos Serifos Andros Paros Mykonos ou Fukuoka Sapporo Tokyo, grandes cités de l’archipel nippon. D’un univers à l’autre, univers affectifs si distants où s’éprouvent passé et présent, la poète chante son chant d’adieu à l’aimée, ce pur visage dans lequel elle s’est un temps – trop bref – absorbée. De cette symbiose parfaite, de cette complémentarité inégalée, la poète tenait toute sa respiration et sa raison d’exister.
« j’étais
ton visage
ta légèreté virile
et jeune
animale
gracieuse
dans ma poitrine
comme un souffle
s’est perdu »
Brèves, les strophes qui composent le poème de Vers la mer le sont aussi. Minimalistes, elles affleurent, petits pavés entre les blancs, tantôt calés à gauche, tantôt à droite, alternant italiques et caractères romains. Elles surgissent décentrées sur la page, comme les écueils qui ponctuent la mer Égée ou la mer du Japon. Entre l’une et l’autre mer, le temps a passé, sept années se sont écoulées sans que s’épuise le chagrin. Les années ont fui, emportant la douceur sensuelle de l’autre, l’aimée en qui l’étrange étrangère avait ancré sa venue au monde :
« nue
et née
près de toi »
et qu’elle porte toujours en elle sept ans plus tard.
La voilà désormais nue d’une tout autre nudité. Nudité du vide, du non-être, de la perte et de l’inexistence.
« jetée
dans l’étrangeté nue
de la vie
j’étais
et plus que tout
perdue »
Perte absolue, de soi, du sens, qui va jusqu’à la fusion-confusion des lieux et de l’être, à leur dédoublement et superposition :
« là où j’étais
je suis
disais-je
où je ne suis plus ».
Jusqu’à la perte des mots et du langage, perte de la poésie, dit-elle :
« la poésie est morte
dans la ville
où j’ai laissé mon cœur »
Face à son propre désarroi que faire d’autre sinon en appeler aux grands poètes lyriques des lointains :
« des mains
j’appelle un dieu
portiques
ô Claudel ô Segalen,
ô Saint-John Perse ».
Pourtant avec si peu de mots épars sur la page, c’est bien de poésie que parle Vers la mer. Une poésie au lyrisme assumé, composée sur un rythme bref et qui pourtant perdure et draine avec lui une beauté d’écume proche des larmes. Les larmes ? Sans doute les miennes davantage que celles, absentes, de la poète. Encore que ! La poète n’avoue-t-elle pas soudain, dans un élan élégiaque :
« s’émerveiller
parfois j’y pense
et puis je pleure
que faire
de la beauté
sinon rien » (92)
Il pleure et il pleut à plusieurs reprises sur l’avril du Japon.
De cette beauté mystérieuse où fusionnent les époques et le temps, les souvenirs se mêlent, de la Méditerranée aux images nouvelles qui affluent des îles inconnues et lointaines. Ainsi l’éternel plongeur de Paestum, pris entre ciel et mer dans son immuable élan, immortalisé dans la brièveté de la tension de son corps, cède-t-il la place aux images vibrantes du Japon – ce pays/ adopté – pris dans la myriade de ses îles, avec la déclinaison de ses activités, des êtres et des modes de vie qui surgissent au détour de la page. Paysages et traditions et leur évocation sobre :
« dans la nuit
feux sur la plage
oh hanabi
luciole
épiphanie »
Tout cela énoncé dans une apparente économie de moyens. Et pourtant, tant de poésie contenue en si peu de mots. Et tant d’émouvante beauté dans ces vers. Le poème est pareil à ces minuscules boîtes gigognes dont la plus petite recèle le secret ultime que l’on brûle de découvrir. Le secret, on le sait, est dans l’attente davantage que dans l’objet. Il narre, d’une étape à l’autre, l’errance de la poète perdue dans les méandres de sa rupture amoureuse dans laquelle croisent, comme une épreuve au long cours sans halte ni ponctuation, la mer l’amour la mort. Trilogie amoureuse amère qui abandonne l’amante esseulée à son éloignement et à sa cruelle solitude :
« au jour
des adieux
sans adieux
ta lèvre
ne me mord plus
comme la mer
s’est retirée ».
La sensualité érotique - le Japon n’est-il pas le pays du raffinement en matière d’éros - que la poète porte encore en elle sept ans plus tard, n’est pas absente de ces pages. Elle affleure avec la même finesse, la même délicatesse pourtant soucieuse de « l’écrire vrai » :
« l’effleurement des doigts
pour commencer
en se parlant
comme au hasard ».
Quelque chose de l’estampe baigne l’écriture sensible de la poète, un halo que la perte d’un amour absolu ne parvient pas à estomper et à dissoudre.
Vers la mer ne livre pas son secret. Le secret demeure, qui est celui d’une écriture.
Angèle Paoli / D.R. Texte angèlepaoli
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MARIELLE ANSELMO
Source
■ Marielle Anselmo
sur Terres de femmes ▼
→ Marielle Anselmo, Jardins (note de lecture)
→ (dans la Galerie Visages de femmes) le Portrait de Marielle Anselmo par Guidu Antonietti di Cinarca (+ un extrait de Voir le jour, Revue NU(e), N° 42)
→ Marielle Anselmo, Vers la mer, Poésie, Préface d'Alain Borer, Éditions Unicités, 2022
→ (dans l'anthologie poétique Terres de femmes) Marielle Anselmo | Les îles
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