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程抱一
Son nom en mandarin :
;littéralement « qui embrasse l'unité »
XIX
Moi qui ai une vie sociale plus que restreinte, je suis néanmoins entré en lien, à côté de ces trois hommes si importants (Pierre Emmanuel, Henri Michaux, Yves Bonnefoy*) pour moi, avec d’autres poètes de différentes générations. Pour mémoire, je vais en donner pêle-mêle une liste, tout en soulignant aussitôt que connaître chaque poète est toujours un don unique. Chacun, avec son verbe particulier, apporte un univers de sensibilité et d’aspiration aussi inépuisable qu’irremplaçable. Quand on y pénètre, on reçoit un chant inattendu, happé comme par un cri d’oiseau dans la forêt. Après, il faut une longue imprégnation, que seul le temps permet, pour saisir les arcanes secrets d’une âme. Comme depuis de longues années je ne suis plus en état d’entretenir une correspondance, mon échange avec chacun des poètes que je vais nommer se fait par la lecture – une lecture sporadique mais fidèle. Aux heures de solitude, j’ouvre le recueil de l’un d’entre eux et ma solitude rencontre celle d’un autre, d’un frère, d’une sœur en poésie. C’est alors qu’une vraie communion a une chance de s’opérer. Elle n’est pas dans un accord immédiat, elle passe par une transcendance.
Ce qui suit n’est donc pas une simple liste. Chaque nom fait advenir un visage incarnant un verbe qui, relié au Verbe originel, rompt le silence sidéral dans lequel se déroule notre destin : Claude Roy, Jean Mambrino, Pierre Oster, André Velter, Jean-Pierre Siméon, Jean-Marie Berthier, Pascal Riou, Zéno Bianu, Paul-Bernard Sabourin, Jean-Baptiste Para, Gilles Baudry, Jean-Pierre Lemaire, Sylvie Fabre-G.K, Hélène Dorion, Colette Nys-Masure, Gérard Bocholier, Jean Lavoué, Nicolas Gille […]
Par-delà les poètes, il y a de par le monde ceux que la poésie fait vibrer. En des lieux les plus improbables, à des heures les plus inattendues, je crois des lecteurs qui, surpris ou ravis, offrent leur visage et leur regard, comme un éclair de la grâce. Dans un cri de reconnaissance, de longues attentes soudain condensées en l’instant fulgurant, et tout semble réalisé une fois pour toutes. L’espace-temps transfiguré par les présences accordées, n’est-ce pas la définition même de la beauté ? De ces expériences vécues est né un jour ce quatrain qui ne me quittera plus :
« La beauté est une rencontre, toute présence
Sera par une autre présence révélée.
D’un même élan regard aimant figure ailée ;
D’un seul tenant vent d’appel feuilles de résonance. »
Je parle de la rencontre avec des inconnus, également des retrouvailles avec des êtres redécouverts sous un jour enfin authentique. Par ailleurs, une ou deux correspondances échangées avec des personnes prédestinées approfondissent ma compréhension de l’âme humaine.
Tout cela se passe d’abord en France. Au gré de mes errances, j’élargis mon espace de rencontres en Espagne et au Maroc, en Italie et en Allemagne, en Belgique et en Angleterre; et en Finlande, lors d’un exceptionnel séjour offert par mon ami Jean-Jacques Subrenat; outre-Atlantique aussi : l’inoubliable Montréal et maints lieux des Etats-Unis gravés dans ma mémoire.
Ici, je ne saurais passer sous silence un fait majeur : une majorité d’êtres ainsi rencontrés sont des femmes. Ce fait parait absolument étrange à quelqu’un d’aussi foncièrement solitaire comme moi, tourné sans cesse vers l’intérieur pour traquer le mystère de l’Être tapi au plus intime de nous. À moins que ce soit là précisément le point auquel sont sensibles certaines femmes qui aspirent à un dialogué en profondeur. Toujours est-il qu’il m’a été donné, au cours de ma longue vie, de bien connaître l’âme féminine. Il ne se peut pas que cela ne comporte une part de vérité…
* c'est moi qui rajoute cette parenthèse. AP
François Cheng, Une longue route pour m’unir au chant français, Albin Michel, 2022, pp.164, 165, 166,167, 168.
***
Pommes de pin tombées
dans la montagne vide
Tu les entends n’est-ce pas
Là où tu es
en lieu séparé
mais au même instant
Tout comme ici
Où le sommeil de l’homme est troué
De deux sourires échangés
de deux larmes emmêlées
Tout comme jadis
Quand l’automne était là
Quand dans la montagne vide
tombaient les pommes de pin
François Cheng, Qui dira notre nuit, Nouvelle édition, Arfuyen 2003, p.62.
F R A N Ç O I S C H E N G Source ■ François Cheng sur Terres de femmes ▼ → L’appel de la mer → [Consens à la brisure] (extrait d’Enfin le royaume) → [Oui, nous suivrons le sentier] → Rose d’indigo → [Suivre le poisson, suivre l’oiseau] → Tango toscan ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de l'Académie française) une bio-bibliographie de François Cheng |
FRANÇOIS CHENG est aussi un grand calligraphe chinois :
=> http://clamoure.over-blog.com/article-fran-ois-cheng-et-la-calligraphie-102182356.html
Rédigé par : G.Cavaliere | 13 janvier 2023 à 16:39