Actes de la journée d’étude de l’université Paul-Valéry Montpellier 3
Réunis par Pierre-Marie Héron & Marie Joqueviel-Bourjea,
→ Éditions Domens / → Éditions Méridianes 2022
Lecture d’Angèle Paoli
J’ai reçu ces jours-ci les Actes de la journée d’étude de l’université Paul-Valéry Montpellier 3 consacrés à Frédéric Jacques Temple: Les cent ans.Les articles, entretiens, documents, illustrations réunis dans cet ouvrage - conçu par Pierre-Marie Héron et Marie Jocqueviel-Bourjea - ont été rassemblés en l’honneur du poète au moment de fêter le centenaire de sa naissance, en 2021. Frédéric Jacques Temple n’a pas attendu cet hommage puisqu’il est mort un an avant, le 5 août 2020.
Sans doute très attristés par la disparition d’un ami si cher et d’un si talentueux poète-nomade, les auteurs n’en ont pas pour autant abandonné leur projet éditorial. Le livre vient d’être édité conjointement par les éditions Domens et Méridianes. Pour le plus grand plaisir des lectrices et des lecteurs.
Je remercie au passage les éditeurs de m’avoir incluse dans leur service de presse. Je les remercie pour le plaisir que procure ce livre, pour l’air vivifiant de la mer, pour le voyage à travers temps, textes et images. À travers tant d’espaces. Je les remercie pour l’émotion qui se dégage de l’ensemble. Je vais vagabonder, d’un cahier à un autre, d’un entretien à un article. Un peu au hasard. Des intitulés, des évocations, des poèmes disséminés de par les pages. Feuilleter plutôt que m’appesantir. Me familiariser avec un homme que tout intéressait. Les plantes les pierres les mers lointaines les déserts… les animaux (hâte de lire Le Chant des Limules !). Tout. « Prendre part » à l’aventure humaine qui a nom FJ Temple.
Pour l’heure, donc, je lis et relis tout ce que ma bibliothèque recèle d’ouvrages de Frédéric Jacques Temple, qui se résume jusqu’à présent à deux recueils : Par le sextant du soleil (Éditions Bruno Doucey) et La Chasse infinie et autres poèmes, dans la collection Poésie / Gallimard, textes établis par Claude Leroy. Les Divagabondages se sont égarés dans un de ces cartons parmi lesquels je vis, qui m’environnent et m’engloutissent. Qu’à cela ne tienne, je vais les commander chez mon libraire bastiais. En attendant je lis et relis. Ce que j’ai d’ouvrages à ma disposition et complète ma collecte avec les textes et poèmes présents sur Terres de femmes. C’est peu, j’en conviens. Mais il n’est jamais trop tard pour découvrir et re-découvrir. Ce que je fais en m’immergeant dans la lecture des Actes de la journée d’étude de l’université Paul-Valéry Montpellier 3. Lesquels actes viennent compléter le colloque international de Cerisy-la-Salle d’août 2015.
Août, « le mois de Jacquot », dit sa petite fille Camille Charvet. Mois de la naissance du poète, mois du colloque de Cerisy en 2015, mois de l’envoi" de Divagabondages aux éditions « Actes Sud » et de la publication du recueil Par le sextant du soleil aux éditions Bruno Doucey ; mois, enfin, de la disparition du poète en 2020. Cela aussi contribue à faire du poète un mythe, de son vivant déjà et par-delà sa mort.
Pour les siens, son épouse, ses enfants et petits-enfants, il n’y avait aucun écart entre l’homme public et l’homme privé. Entre le poète et l’ami, entre le mythe et la réalité.
« Fréquenter FJT donnait toujours l’impression merveilleuse de côtoyer une forme de mythe, un mythe certes intime, familier, mais un mythe tout de même, donnant régulièrement l’occasion de s’émerveiller et d’en raconter les derniers épisodes, jusqu’au bout de sa vie. » Confie Camille Charvet, sa petite-fille.
L’illustration de première de couverture est une œuvre à quatre mains. Intitulée Les Îles du silence, elle associe FJ Temple pour le poème - « Attention/ à ne pas éteindre/ en toi/ le soleil » - et Alain Clément pour les dessins. Poème et dessins devenu emblématiques du poète. L’on découvre ainsi, à partir d’un entretien entre le peintre et Marie Joqueviel-Bourjea, professeure de littérature à l’université Paul-Valéry, combien Frédéric Jacques Temple était attaché aux dialogues dans et par le livre. Nombreux sont les livres réalisés à quatre mains non seulement avec Alain Clément mais avec nombre d’artistes avec lesquels le poète avait en partage le goût des livres, du papier, des formes et des couleurs. Livres pauvres appelés parfois leporelli, livres-accordéons, qui servaient souvent à FJ Temple « de laboratoire pour ses poèmes ». Ces « livres dits "minuscules" mais rayonnants comme des lucioles dans la nuit », confie Alain Clément.
On doit à Daniel Leuwers – critique littéraire et poète - l’invention en 2002, du concept de « Livre pauvre ». Toujours édité en tirage limité, le livre pauvre entre dans la catégorie « hors-commerce ». De petite taille, l’ouvrage est constitué de feuilles de papier pliées, avec texte de l’auteur et illustration originale d’un artiste.
Un premier cahier iconographique propose une rétrospective des œuvres créées dans la complicité de l’un et de l’autre. FJ Temple et Alain Clément. Un travail qui s’étire de 1966 à 2020 et décline au fil des ans livre-accordéon - L’Hiver (1966) - dépliant-affiche Ode à Santa Fe (1990), poésie-affiche La belle Imposture (2006), dépliant, gouaches et découpages, -À l’ombre du figuier (2002) -, Sous les branches (2006) -, Molène (2007) -, À moi le ciste à feuilles de velours (2011) -, Des villes (2015), deux linogravures. – Tombeau pour Arthur Honegger (2019). Et de l’année 2020, - Sans retour- un livre pauvre, Meschacebé, leporello accompagné de gouaches ; Cette 43°24’10’’ Nord, 3°41’34’’Est, Sète, œuvre de Claude Bonfils, Alain Clément, Frédéric Jacques Temple ; Les Îles du silence, dessins d’Alain Clément en digigraphie, coloriés au crayon.
Ce premier cahier est suivi des deux annexes. La première est un récapitulatif chronologique et éditorial de l’ensemble des livres en dialogue réalisés par FJ Temple et Alain Clément. La seconde annexe - elle couvre la période qui va de 2015 à 2020 - rassemble les œuvres réalisées entre FJ Temple et d’autres artistes, dans des domaines qui englobent dessins, encres, linogravures, photographies, digigraphies, sérigraphies, peintures… Parmi les noms mentionnés, ceux de Robert Lobet, Pierre Fournel, Pierre Cayol, Carmelo Zagari, Jean Cortot, Claude Viallat… Suivent des pages qui répertorient les livres pauvres réalisés par FJ Temple, en compagnonnage avec un artiste sur la période, 2015-2020. Une manière autre pour le poète, diminué physiquement, de voyager. D’Aujargues où il réside avec Brigitte, son épouse, sans presque plus bouger :
« En rade d’Aujargues,
dans la mer de cistes et d’oliviers,
en écoutant roucouler les tourterelles,
les huppes pupuler,
et le petit duc trouer la nuit
de son appel flûté. »
(2013-2015)
Un second cahier iconographique rassemble photos de famille, portraits, premières de couverture, extraits d’article, lettre et poèmes, souvenirs de rencontres, partie de campagne et partie de pêche, photos de séances de travail et d’élaboration de livres pauvres. On y croise des noms d’artistes et de poètes, certains connus et d’autres moins, Luis Mizón et Martine Erhel, Gaston Miron et Robert Marteau, Jorge Vargas et Pierre Nepveu, Alain Clément et Claude Bonfils, Patrick Quillier et Denis Lavant, Vincent Bioulès et Sami Briss, Claude Viallat et Jean-Noël Bachès. On y retrouve aussi des poèmes avec leur illustration :
« Nous sommes de cette terre / dans la douce respiration / sans relâche / de la mer » (Profonds pays). Avec l’emboitage de Danser avec les dauphins, peintures de Claude Viallat.
Ainsi que le précise Pierre-Marie Héron dans son introduction à l’ouvrage des « Actes », « la confection d’un livre d’artiste » est la plupart du temps, l’histoire d’une rencontre. D’une amitié. Conviviale et joyeuse. Festive même. Amitié d’un plasticien avec un écrivain. Et d’ajouter :
« Du côté de Temple on dénombre une centaine de réalisations de ce type au long de sa vie… dont plus de quarante après 2015 (parmi eux, 18 « livres pauvres ». Livres « respiration » pour ce « très grand vivant » qu’a été FJ Temple. Sa relation avec les artistes plasticiens a été intense, jusqu’aux derniers instants de sa vie. C’est dire si textes et illustrations sont intimement et étroitement liés.
Alain Clément, dans l’entretien qu’il mène avec Marie Joqueviel-Bourjea, fait aussi l’éloge de l’éditeur dont la place est si importante :
« Nous avons trouvé des éditeurs formidables. C’est essentiel qu’il y ait un éditeur qui mette en ordre, compose, un peu comme un chef d’orchestre dirigeant la partition de chacun. »
Pour évoquer l’univers de poète voyageur ouvert à tous les vents et à tous les flots, les auteurs du livre ont fait appel à Claude Leroy à qui l’on doit – « Faire voyage de tout » - préface du recueil La Chasse infinie et autres poèmes (Poésie / Gallimard). Claude Leroy évoque « Les trois commencements du poète ». Pierre-Marie Héron, les Divagabondages ; Gérard Lieber, dans l’article mystérieusement intitulé « Pythéas et Goodson », Une longue vague porteuse. Dans un entretien de Marie Joqueviel-Bourjea avec Alain Clément seront évoqués les « Dialogues dans et par le livre » entre Alain Clément et FJ Temple.
Marie-Paule Berranger s’intéresse aux « lignes d’erre » et « traces de vie » dans le recueil Dans l’erre des vents. Jean-Claude Forêt fait « le point une dernière fois » avec Par le sextant du soleil. Camille Charvet, petite fille de FJ Temple, fait place en quelques pages à « la parole familiale » avec « Cinq années « en rade d’Aujargues ». Au cours de ces dernières années, le travail se poursuit et les projets prennent forme. Alain Clément « pense que FJT restera en vie tant qu’ils feront des livres ensemble ». Ce sont les autres qui viennent à lui. Aujargues devient « the place to be ». Et Brigitte, qui veille au confort de son mari, travaille à ses côtés. Avec lui, à l’ordinateur.
Quant à FJ T, objet de cette rencontre et de cet échange, il est également présent dans les pages en grisé du fac-similé de l’éditions originale de Seul à bord, « mince plaquette cartonnée, d’un gris assez élégant », publiée à compte d’auteur en 1945. Dix-huit pages en tout. Aujourd’hui publié dans le présent recueil grâce à l’accord généreux de Brigitte Portal », épouse de Frédéric Jacques Temple. Pour Claude Leroy cet ensemble de seize poèmes marque le premier commencement du poète. Le second a lieu l’année suivante en 1946, avec la publication à Alger du « poème matriciel » Sur mon cheval chez l’éditeur Edmond Charlot. Edmond Charlot, premier éditeur de Temple et quel éditeur ! Il fut aussi celui d’Albert Camus. Il faudra pourtant attendre 1968 pour qu’ait lieu le troisième commencement et que le second recueil – Fleurs du silence - voie le jour. Ce long silence s’explique en partie parce que Temple est entré dans ses années-radio. « De 1954 à 1986, on sait qu’il dirigea la RTF puis l’ORTF pour le Languedoc-Roussillon. Lourdes et prenantes responsabilités qu’il assume avec passion. » Pour autant, affirme Claude Leroy, Temple n’a jamais cessé d’écrire. Il publie des monographies, des traductions, des poèmes qu’il confie aux revues. « Années d’apprentissage, sans doute, et plus encore années d’essais. » Qui s’accompagnent de rencontres décisives : « l’Américain Henry Miller, l’Occitan Joseph Delteil Blaise Cendrars, le poète du monde entier, les Anglais Richard Aldington et Lawrence Durrell, en 1957. »* Ce réel commencement, celui de 1968, il le doit beaucoup à son ami Joseph Delteil qui ayant perçu les talents de Temple le pousse et l’encourage à poursuivre ses explorations poétiques et à leur insuffler leur force vitale.
En 2018 paraissent aux éditions Actes Sud, les Divagabondages. Recueil de « diversions » pour exorciser les violences et le mal qui les engendre, ou peut-être plus modestement, les tenir à distance, les Divagabondages rassemblent souvenirs d’enfance, rêverie des origines, voyages, amitiés… et articles écrits dans les années 1980-2010. Temple, comme l’écrit Pierre-Marie Héron dans son propos intitulé « Modeste Temple », aime à pratiquer les « genres mineurs » – carnet de bord, journal… Les Divagabondages sont nés en 2017, de divagations et de vagabondages dans les archives personnelles du poète, alors en proie à des problèmes de santé gravissimes.
Si la violence existe, si le mal perdure d’une guerre à l’autre, Temple choisit dans Divagabondages la résistance à toute forme de combativité. Il choisit la non-violence qu’il vit comme une « protection contre une vérité infiniment dangereuse et dévastatrice… » D’où la tonalité résolument pacifique, à l’exception des deux premiers textes liminaires.
On rencontrera dans Divagabondages - « magnifique mot-valise » - un FJ Temple naturaliste, passionné d’oiseaux et d’herbiers. Qui se construit en recherchant une « méthode calme » laquelle est nécessaire pour répondre aux inquiétudes intérieures. C’est aussi, au-delà du plaisir extrême qu’il y a à accueillir les mots propres à chaque catégorie ou espèce, le plaisir de revenir sur des amitiés. Ainsi « la passion de l’observation des espèces demeure seconde par rapport à la passion de la rencontre humaine », note Pierre-Marie Héron. Divagabondages est donc aussi un livre d’hommages où chacun connu ou méconnu, parfois oublié, a sa place.
« Divagabonder, de livre en livre, de poème en poème, autour de la nostalgie puissante d’un Paradis perdu… voilà bien une manière de résister, non-violente, amicale, mais non moins entraînante et en tout cas envoûtante à la longue ».
Envoûtant, c’est bien le qualificatif que j’ai envie de garder en mémoire.
L’envoûtement se poursuit avec les noms mystérieux de « Pythéas et Goodson » retenus par Gérard Lieber pour évoquer Une longue vague porteuse, « carnet de bord, paru chez Actes Sud en 2016 ». La mémoire du poète a ici le nom d’un navire - le « San Cristobal » - dont il est le timonier. On imagine d’emblée que la métaphore marine sera filée par le navigateur à bord de ses souvenirs. Gérard Lieber ne s’y est pas trompé, qui en cours de lecture a relevé le vers où apparaît « Pythéas le grand nocher » voisinant les matelots d’Ulysse. Pythéas le navigateur que connaissent les marseillais, originaire de l’antique Massalia. Astronome, géographe et savant. Deux autres occurrences du nocher marseillais à qui FJ Temple rend hommage pour les exploits accomplis. Il « atteignit les terres boréales jusqu’à Thulé ».
Quant à Goodson, il se trouve à bord de « L’Espadon » qui navigue dans les eaux de Majorque. L’épisode mentionne qu’il vient d’apercevoir une baleine. Il y a du Moby Dick dans l’air. Mais la baleine est peut-être un rorqual ou une jubarte. Goodson n’en saura rien. Nous non plus. Peu importe, ce qui compte c’est que derrière Goodson c’est l’ami Bonfils qui se cache. Claude Bonfils avec qui FJ Temple avait effectué un périple aux Baléares en 1976.
« À bord du San Cristobal, j’imagine, selon le bon vouloir du vent et de la mer, ce que restitue, bribes par bribes, ma mémoire. »
Marie-Paule Berranger s’intéresse, elle, aux suggestions sonores du titre pour baliser son propos. Dans l’erre des vents. De la lyre des vents à l’ire puis à l’erre des vents. Les vents chers à FJT- vent d’autan, tramontane, sirocco- tracent une continuité dans l’ensemble de l’œuvre, car « le vent gouverne », qui invite « à se laisser conduire par le flux d’énergie restante, dans le sillage de la « longue vague porteuse », du carnet de bord de 2016 ». Ces vents, écrit encore Marie-Paule Berranger, « constituent une figure ouverte de la vie, des souvenirs, de la poésie, « l’erre » plaçant l’accent sur l’allure, la façon d’avancer : on y entend le verbe « errer » cher au poète voyageur » … On y perçoit la référence au vagabondage, au nomadisme, à la bourlingue, à la pulsion du départ, comme chez Cendrars, mais aussi à celle de l’ailleurs et de l’autre. » Une invite à retrouver le tracé des drailhes de l’ancienne transhumance, mais aussi tous les chemins ouverts par la mémoire, les sentiers de garrigue et les pistes lointaines. Celles de Whitman et de Thoreau, les modèles américains chers à son cœur, les traces des volcans et des îles.
La lyre entraîne le poète vers les sources occitanes et italiennes. D’autres voix que la sienne mais qui y ont leur place se font entendre mezza voce, invisibles mais présentes. Celles de. « Dante, Pétrarque, Mistral, Raimbaut d’Aurenga ou Pèire Vidal ». Quant à l’ire, elle est davantage nourrie par la violence des hommes à l’égard de la nature et de la terre que par les fureurs d’Éole. Ainsi le poète dénonce-t-il les « forces de destruction » à l’œuvre dans la bétonisation outrancière des terres et « les tentatives de colonisation » dont elles sont l’objet. Convoitise et profit se conjuguent et se coalisent au nom du progrès. « Face aux territoires perdus et à la réduction des espaces sauvages, à sa propre finitude, le poète réaffirme les forces de vie, graines vagabondes, fleurs humbles des zones côtières, énergie jaillissant de la terre. »
Jean-Claude Forêt met l’accent sur les derniers moments du poète. Lequel, avec ses deux derniers recueils fait le point sur sa vie et sur son œuvre. Par le sextant du soleil et Sirventès, paraissent en 2020 quelques jours avant la mort du poète. Avec ce titre emblématique qui réunit les deux parties du livre, FJ T poursuit jusqu’à la fin la métaphore marine qui n’est autre que celle de la vie. La vie pour le poète est « comme une traversée en mer dont on ignore la destination, mais où l’on doit faire le point pour garder le cap. » Écrit Jean-Claude Forêt, en cela fidèle à la pensée du poète. « Titre solaire » qui guide le poète vers « un ultime calcul de latitude. » Une sagesse nécessaire avant de prendre congé. Quant au Sirventès, genre poétique médiéval occitan, FJT s’en éloigne et le traite à sa guise. « Il est une pure invention de Temple, une façon aussi de revendiquer une filiation poétique occitane. La matière est réduite à une idée, et de ce noyau de sens irréductible, il fait une gemme poétique d’une densité extrême. »
« Voilà plus de neuf décennies,
dans ma bonne barque de vie
toute voilure déployée,
je tiens la barre
avec le soleil pour sextant ;
à travers calmes et tourmentes,
pour la course sans relâches
des blancs cachalots du destin. »**
Lire et relire Frédéric Jacques Temple est regain vital par les temps obscurs qui secouent hommes et terres. Lire aussi ce livre inépuisable, riche et éclairant des Actes de la journée d’étude de l’université Paul Valéry Montpellier 3, réunis par Pierre-Marie Héron & Marie Joqueviel-Bourjea. Livre essentiel. Pour voyager et pour être autrement. Arbre vivant.
« Voici quelques glanes à propos des livres d’artistes et livres pauvres :
L’Hiver : poème qui scelle la rencontre de l’artiste et du poète. « Bien plus tard, à Long Island nous marchions ensemble sur les plages océaniques où FJ cherchait des carcasses de limules tout à côté des ateliers de Pollock et de Kooning. Nous partagions ainsi notre rêve américain. »
Ode à Santa Fe : « un livre ouvert comme une carte routière, gravé à l’eau-forte en couleur de plus d’un mètre de côté, et pour chacune des couleurs une plaque différente. Tiré sur une presse taille-douce, contrecollé sur toile, plein champ à la dimension du corps… »
La belle imposture ? « J’avais fait cela pour le colloque de Saorge. Dans le poème -tract de FJ, il y a une certaine ironie et une profonde vérité. La vie vaut mieux que n’importe quel poème mais que serait la vie sans poésie ?... Dans ma construction j’ai voulu une affinité avec le poème des Voyelles de Rimbaud, où on sort en exergue certaines voyelles qui deviennent des couleurs. Elles passent à travers un écran de soie tendue, c’est de la sérigraphie, ça a une matière, une épaisseur, une odeur, ça vit ! »
À l’ombre du figuier ? Ce sont des bois gravés, des bois découpés dans le sol de mon atelier, des bois trouvés, n’importe qui qui tombe sous la main et qui subitement s’agence parce qu’on les encre et qu’on les imprime avec des presses anciennes d’imprimeur qui foulent le papier et donnent une empreinte… »
Molène « . Ah Molène ! C’est tout une histoire… Nous avons composé un livre de promenade, fait de trous dans les pages, des méandres de l’aquarelle et de galets peints sur la plage. »
À moi les cistes de velours : Avec FJ nous avons herborisé… tout en restant immobiles… enfin pas tout à fait, parcourant notre territoire. Nous sommes allés dans la garrigue près de Sainte-Croix-de-Quintillargues, au pied du Pic Saint-Loup. C’est lui qui m’a appris le nom des plantes. Et avec Fata Morgana et Bruno Roy, on a fait un livre de l’herbier en poésie qu’il a composé : j’ai réalisé des dessins en noir qui étaient une forme simplifiée mais caractéristique de chaque plante décrite, et en même temps il fallait qu’il y ait de la couleur. Donc j’ai dessiné dans du papier gouaché pour qu’une petite main découpe selon mes gabarits les formes colorées et les colle sur le papier comme des pétales tombés. »
« Des villes, Ce sont des formes qui se dissolvent. Il fallait les peindre à l’aquarelle avec ces couleurs liquides qui s’étalent. Plaques miroitantes de couleurs mélangées. Il fallait les adoucir, les faire suaves comme les brumes parcourues des rêveries. »
Meschacebé, « un livre à l’envers qui remontait le Mississipi… A rebours vers l’enfance. Je me souviens d’avoir déployé la maquette du livre en un long ruban autour de la tête de FJ pour qu’il corrige l’épreuve. C’était comme une couronne de fleurs, il buvait à la paille une orange pressée mélangée de whisky et nous étions heureux de ce voyage ensemble, sachant sans tristesse que ce serait le dernier. »
Les Îles du silence, choix de poèmes emblématiques que j’ornais de couleurs pour y aborder comme à Cythère : luxe, calme et volupté… Feuilles de papier éparses au sol, parcourues librement du pinceau mais ancrées aux mots du poème… C’était le livre de l’affection et de la joie. »
Angèle Paoli / D.R. Texte angèlepaoli
*
F.J.Temple en 2011, lors d’une partie de campagne annuelle
chez Florence et Pierre Dainat ©Michel Descossy
Janus Bifrons II
À Alain Clément
Dans l’obscur,
triomphe la lumière
qui en est la mère
ou l’autre face.
J’interroge la mémoire.
A l’aube de mon enfance,
des ombres dansent
au plafond,
fantômes des passants matinaux
errant à travers les persiennes.
Le treillis du feuillage
tamise le soleil
sur l’humus et la mousse
aux douces tavelures.
Je vois l’ombre du stylet
au grand cadran solaire
dont le langage prend sa source
dans la course mystérieuse
de l’astre royal.***
*Frédéric Jacques Temple, La chasse infinie et autres poèmes, Édition de Claude Leroy, Poésie / Gallimard 2020, p.9.
** Frédéric Jacques Temple, « Sirventès » in Par le sextant du soleil, Éditions Bruno Doucey, 2020, p.89.
*** Frédéric Jacques Temple, Par le sextant du soleil, Éditions Bruno Doucey, 2020, p.19.
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