Éric Sautou, C'est à peine s'il pleut, Faï Fioc, 2021.
Lecture d’Angèle Paoli, Revue Europe,
Septembre-octobre 2022,
pp.337,338,339
" j’écris page après page
le souvenir de toi "
« mourir
est l’étrange chose
où chacun de nous
s’en est allé vivant »
Entre veille et sommeil, dans un entre deux aux frontières mouvantes – C’est à peine s’il pleut – est, un arrière-pays bordé de brume. Dans ce monde-paysage en demi-teinte, affleure l’histoire d’une perte qui se précise peu à peu. Une séparation amoureuse sans doute. Un effacement, de l’autre et de lui-même, qu’Éric Sautou esquisse d’un poème l’autre, avec toute la discrétion qui le caractérise. Un travail d’épure bouleversant.
Dans ce recueil écrit entre 2015 et 2016, Éric Sautou compose une sorte de journal irrégulier, cependant daté avec précision qui s’étire sur un trimestre, de septembre à mars. Le titre du présent recueil est emprunté à un « tout petit livre » édité en 1990 aux éditions « La Crypte », nous dit une note, mais non les poèmes. Le titre revient à trois reprises, comme un leitmotiv ténu. Associé à la maison, à la pluie qui ne cesse de tomber, à l’écriture. Ainsi depuis 1990 (peut-être même avant, je ne sais) et jusqu’à aujourd’hui, une ligne d’écriture subtilement filée se dessine au fil des ans dans l’œuvre du poète. Une ligne qui se dérobe, en équilibre sur le « rien », les « à-peine », ponctuée par la miniaturisation des choses, et associée à la répétition. Une lallation, presque. Qui parcourt les poèmes comme une basse continue. Et se prolonge en échos. La poésie comme un refrain d’enfance. L’enfance, de longue date perdue, étant associée à la maison et à la chambre, à la mer (la mère ?), à la douceur d’une époque désormais insaisissable.
Chaque poème forme un tout où alternent vers brefs et vers plus longs. Chaque strophe est séparée de la suivante par des blancs visualisés par un unique point intercalé à distance régulière. Le rythme du poème est ainsi donné à la fois sur le plan visuel et sur le plan sonore. La poésie d’Éric Sautou se vit aussi dans les silences.
« Comme ainsi s’étend la brume
rien de plus seul au monde il n’y a plus rien
.
choses
absentes
venez à nous revenez-nous
la poésie c’est l’ombre il n’y a plus rien
la poésie c’est l’ombre il n’y a plus rien »
Chez Éric Sautou, la poésie est « brume ». Légèreté qui s’effiloche, indécise, indiscernable, semblable au « rien » qui enveloppe toute « chose ». Il y a comme un appel aux « choses absentes ». Les choses absentes refont surface dans les redites « féroé féroé » / « Beaupré ». Ainsi que dans les allusions à d’autres espaces. Comme « la véranda ». Les mots jouent ici leur rôle chamanique. Ils sont chargés d’un pouvoir secret dont seul le poète possède la clé. Il les convoque pour les dégager de leur gangue. Il les libère de leur force agissante sur la poésie. Ainsi des mots « vagues » / « mer » / « voix » / « nuages » / « sable » / « galets » … et de tant d’autres mots courants qui ricochent entre eux pour former des phrases. Semblables à de « tout petits drapeaux ».
« j’écris des phrases à l’intérieur comme des sortes
de tout petits drapeaux (à l’intérieur comme des sortes
de tout petits drapeaux) »
Ensemble les phrases dessinent ce lieu de l’effacement et de la solitude qu’habite le poète :
« pays dormant chemin de sable c’est ici que je reste »
La solitude semble liée à une absence douloureuse, qui laisse le poètes « cœur battant ». Des aveux discrets, des adresses soudaines donnent forme, à peine, à l’être aimé qui a disparu. Cette disparition efface même tout questionnement : pourquoi ? comment ? Éric Sautou ne livrera rien du secret qui le mine. La solitude qui l’enveloppe s’étend alentour et gagne ainsi les « choses » jusqu’à leur disparition. Peut-être même jusqu’à disparition du poème. Désir disparition poème sont de même nature. Comme l’enfant dans les contes ou dans les comptines, le poète berce sa souffrance et sa fragilité dans les refrains. Face aux dangers qui se présentent, aux hésitations, aux reculs, (aux parenthèses qui ouvrent à l’écho intérieur), les répétitions agissent peut-être comme un baume qui rassure :
« cœur battant n’a rien appris
cœur battant cœur battant (comme au bord d’un
précipice) cœur battant n’a rien appris »
Pourtant, au fil des jours et des poèmes une histoire se précise. Derrière le « je » du poète, un « nous » un « toi » affleurent dans le paysage de la séparation. Des espaces différents s’esquissent. Celui du poète est un paysage familier, avec vue sur la « baie », un « bois perdu », une maison et sa « véranda ». « féroé féroé ». Des aveux livrent la place à l’autre qui n’est plus là. Son départ a ouvert le vide, où s’engouffrent la solitude et ce sentiment lancinant d’inutile qui donne sur des questions existentielles sans fond. Qui interrogent la volonté ou plutôt l’absence de volonté. Le poète résume ses peurs dans l’énumération de gestes quotidiens ordinaires, s’en aller, marcher, « regarder le ciel », s’endormir, écrire encore, peut-être.
« je m’endors je reviens je serre mon écharpe
je regarde sans toi »
Il y a donc eu un avant suivi d’un après. Avec en point de départ le frémissement du peuplier à partir duquel une vie autre prend forme dans le ressassement d’un triste constat. L’écriture se fait circulaire et voilà le poète revenu à son point de départ :
« ici ou là me suis perdu
marchant sans savoir où
n’ai écrit
que ces choses pour rien »
Dans la permanence du désarroi qui l’enserre, les mots eux-mêmes deviennent vides. Ils ne collent pas aux choses et la vie ne colle pas non plus avec les efforts engagés pour faire face. Le poète en déserrance erre aussi à travers mots sans parvenir à dire ce qu’il cherche à écrire. Ecrire/vivre relèvent de la même impuissance. Reste un appel douloureux vers celle qui n’est plus là :
« pour venir à toi cette prière aujourd’hui que revienne
qu’il pleuve qu’il pleuve
aujourd’hui que revienne c’est à peine s’il pleut »
Écrire alors, malgré tout, pour ranimer le souvenir de ce qui fut. C’est sans doute ce qui se donne à lire dans cette strophe ; ce qui s’écrit tout au long du recueil :
« maison de plage
et que les saisons passent
j’écris page après page
le souvenir de toi
c’est ce que font les vagues
le souvenir de toi »
La poésie de ce recueil est poignante, qui donne à entendre la musicalité intérieure bien particulière d’Éric Sautou. Sur fond de paysage élégiaque. À peine. c’est à peine s’il pleut. Ce n’est pas d’aujourd’hui que cette poésie me touche. Mais aujourd’hui davantage qu’hier sans doute. Comment ne pas être bouleversée par ces quatre vers ?
« mourir
est l’étrange chose
où chacun de nous
s’en est allé vivant »
Angèle Paoli / D.R. Texte angèlepaoli
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ÉRIC SAUTOU Ph. Sébastien Solidon Source ■ Éric Sautou sur Terres de femmes ▼ → Beaupré (lecture d’AP) → [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré) → [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront) → La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution) → [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances) → La Véranda (lecture d’AP) → [assise et seule assise] (extrait de La Véranda) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou → (sur Terre à ciel) une page sur Éric Sautou |
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