<<Poésie d'un jour
LVIV
Lviv est tout ce que je connais de l’Ukraine.
Lviv au printemps – cinq jours, en 2015.
Souvenir d’une grande place aux façades colorées
d’une église aux bulbes verts
d’un concert endiablé, au café Dziga
de déjeuners au restaurant Puzata Khata…
Dziga signifie « La toupie » et c’était bien
nous dansants et tournoyants toute la nuit.
Aujourd’hui je ne vois qu’une toupie folle :
guerre lancée qui broie les destins.
Puzata Khata c’est « La maison ventrue »
avec son logo rouge et blanc : une chaumière dodue
promesse de chaleur
de panse bien remplie
si loin, aujourd’hui, des maisons détruites
des ventres creux des civils assiégés
des enfants assoiffés
du froid qui les brutalise.
Souvenir d’une ville européenne où
sur les marchés
on vendait du papier toilette
avec sur chaque feuille le portrait
du maître du Kremlin
agresseur déjà, agresseur encore – encore aujourd’hui, encore
à chaque heure.
Souvenir d’une ville fière
de lutter pour la démocratie,
fière du Maïdan,
souvenir d’une ville où très vite j’avais appris
ces mots que l’on entend partout
aujourd’hui
« Slava Ukraïni ! Heroiam Slava ! »
Souvenir d’Anastasia
intellectuelle et libraire
radieuse
amoureuse des mots
aujourd’hui mobilisée
pour les réfugiés qui fluent vers sa ville
pour faire tout ce que deux mains peuvent faire
pour résister
Souvenir de cet homme
dans les allées en plein air
du musée de l’habitat traditionnel ukrainien
dont les doigts délicats travaillaient l’osier :
légers comme la brise fleurie
qui soufflait ce jour-là.
J’ai toujours l’oiseau
fragile
dans ma chambre
fétu de mémoire
mais lui, l’homme, qu’est-il devenu ?
S’est-il engagé pour se battre ?
Ses doigts, aujourd’hui, pressent-ils, au lieu de brins d’osiers,
des gâchettes ?
Est-il même en vie ?
Lviv, ton nom, en français,
sonne tellement comme
« La vive » ou
« La vie ».
Tu es tout ce que je connais de l’Ukraine
pays aujourd’hui en flammes
en lutte pour sa vie.
Irène Gayraud, « Lviv » in L’Ukraine au cœur, "contre les impérialismes", Al Manar 2022,pp.31,32,33,
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IRÈNE GAYRAUD Source ■ Irène Gayraud sur Terres de femmes ▼ → Dans les spires (extrait de Voltes) → Magmatiques, 10 (extrait de Téphra) ■ Voir aussi ▼ → (sur En attendant Nadeau) une lecture du Livre des incompris par Claire Paulian |
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