Toile de Gérard Schlosser : Source
" Gérard Schlosser est d’abord photographe, c’est-à-dire avant tout cadreur. "
Pour →Ariane Dreyfus
« Hors-champ »
Ce qu’on ne voit jamais :ni neige ni pluie ni vent. Il fait toujours doux et beau. Les intempéries sont bannies ; elles n’ont pas lieu d’avoir lieu. Très peu d’hommes.
Pas de machines, presque pas d’ustensiles sinon ceux du peintre et quelques voitures. Très peu de métal, rien dont la géométrie tranchante viendrait rompre ou déchirer l’intimité des choses et des peaux.
Pas de mots mais de la lecture.
Pas de langage mais des titres où toute la frontalité picturale semble renversée dans la littéralité des formules, des clichés, des phrases toutes faites.
Pas de sang non plus, ni de violence. Pas de fracture. Tout le visible est soumis à une construction qui en soude les composants par accolades, sous la douceur des collages, en une sorte de tendresse distanciée, lucide, une tendresse littérale mais sèche, dénuée de mollesse, attentive à l’alerte qui est toute l’affirmation de l’existence des corps, du corps des choses, ou des choses comme corps.
Ni pluie ni vent ni neige : pas d’intempéries. Tout semble arrêté. Même les liquides sont traités comme de la pierre. L’eau, la mer restent de marbre. De fait plus rien ne peut bouger dans ces tableaux qui sont comme solidifiés par leur structure. Leur architecture absorbe tout mouvement. D’ailleurs ces images n’en ont plus besoin, elles peuvent rayonner de leur propre substance, de leur radicale différence d’avec la nature. Et si cette différence nous étonne et nous réjouit, c’est qu’elle est frappée de ressemblance. Tout est fait pour que cette fabrique du réel reste possible et convaincante.
Leur construction, l’étagement de l’espace, ces espèces de scènes comme prises à l’aide d’un étrange téléobjectif qui, non content d’écraser la perspective, réussit à en garder le point partout, comme si on était capable de toujours tout voir avec précision. L’exacte douceur de cette peinture all over maintient notre regard à l’écoute.
La haute fréquence du format carré ou quasi carré accentue encore l’a priori géométrique des compositions, neutralisant les effets paysage, affirmant l’abstraction du prélèvement.
Que par ailleurs le préalable à tout acte pictural soit d’ajuster un assemblage de clichés nous rappelle que, dans sa procédure, Gérard Schlosser est d’abord photographe, c’est-à-dire avant tout cadreur. Ses tableaux se présentent en effet comme des cadres de cadres, ou plutôt des cadrages d’images elles-mêmes déjà recadrées. Ils élaborent une vue qui n’est absolument ni perspective, ni vraiment panoramique, ni même téléobjective ; peut-être pourrait-on la qualifier de synthétique car elle sélectionne et aménage ce qu’elle souhaite y voir figurer. Rien de fortuit, rien n’est laissé au hasard. Elle affiche ses préférences, rejette l’accessoire et ne retient que ce qu’il veut devoir peindre. Ce dont il veut nous offrir la vision.
Il peint ce qu’il désire avoir vu, ce que ses yeux ont vécu d’avoir désiré.
En fait, ces images voulues sont faites comme dans les rêves. Elles ne restituent en rien des séquences oniriques mais elle se fabriquent comme on peut penser qu’elles se font parfois dans les songes. C’est comme si la puissance du rêve venait s’installer dans les montages. En sorte que ces tableaux sont des images qu’on voudrait bien avoir rêvées mais elles ne sont pas des images de notre sommeil : elles sont voulues par le désir de voir ce qui attire.
Ce sont des arrêts sur tableaux du film de nos désirs…
Nicolas Pesquès, « Gérard Schlosser, Romans » (extrait) in Sans peinture, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2017, pp.234, 235
__________________________________________________________________________________________________________________
__________________________________________________________________________________________________________________
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.