<<Poésie d'un jour
Piero Della Francesca, L'Exaltation de la croix
Fresque de la basilique San Francesco, Arezzo, 1452-1466
19. LA MADELEINE
Ce n’était pas quelqu’un. C’était Jésus.
Je ne l’avais jamais vu. Cet onguent,
je l’avais avec moi par hasard, comme une autre
porterait dans ses cheveux l’épingle
avec laquelle, un jour, elle tuera son amant.
Que veux-tu que ça me fasse si nous étions
dans la maison d’un ennemi ou d’un frère
et si c’était un moraliste ou un traître
qui a essayé de s’interposer
entre ses pieds et mes baisers ?
Qui que ce fût, il a reçu ce qu’il méritait
-tandis que moi, la souillon du pêché,
l’idiote aux mains percées,
moi accroupie sur un sol glacial
parmi ls restes de l’histoire,
j’ai trouvé dans les pleurs ma gloire.
34. LA MADELEINE
Moi je le savais. Je l’ai toujours su.
Je le savais sans du tout le savoir.
Je le savais en un éclair et puis terminé,
comme on peut savoir quelque chose de la mort.
Je le savais dans mon ventre outragé,
dans le sang qui sillonnait mon dos,
dans les bleus qui ne disparaissent jamais
sur le pâle tracé de mes côtes.
Je savais quoi ? Je savais que le mal
commence toujours et n’est jamais fini.
Je savais ceci : qu’un jour, lui aussi
serait roué de coups et blessé
pour un plaisir non moins pervers
par des bourreaux non moins innocents.
38. La MADELEINE, MARIE
MADELEINE
Il doit être content, à présent. A force,
il a réussi à l’avoir, tout le mal qu’il voulait,
qu’il poursuivait ! Mais regarde-le :
jamais personne n’a porté autant de bois
sur des épaules déjà tellement torturées, ou
posé sur des pierres aussi coupantes
ses pieds…
MARIE
Je sens dans tes paroles
la même horreur qui me fait défaillir,
mais aussi, est-ce possible ? quelque chose
de différent, de semblable à une rancœur…
Quelle injure t’a été faite ? dis-le-moi,
je te le demande au nom de celui que la mort nous enlève.
MADELEINE
C’est pour toi, vraiment, qu’il meurt, non pour moi
qui ne lui suis rien. Oh, je sais bien,
personne ne souffre ce que tu souffres
et pourtant, j’ose te le dire, plus torturant
est le martyre que j’endure, qui ne peut exister,
ce sourd sentiment de le sentir arraché
de ma chair, de mes entrailles, moi
qui ne l’ai jamais eu…
MARIE
Ne te fais pas d’illusions,
Ce tourment même ne t’appartient pas,
Personne jamais ne l’a eu.
MADELEINE
Mais toi, si,
puisque tu l’as engendré, que tu es sa mère
et toujours le seras !
MARIE
Je le suis à présent
que j’en deviens orpheline
à chaque minute qui passe, à chaque goutte
de sang qui sort de ses blessures,
comme toi, comme tous… Mais ça suffit,
finissons-en
avec cette obscène surenchère de souffrances.
toi qui pourrais être ma fille,
toi qui as le même prénom que moi,
viens, donne-moi le bras, porte mon cœur
palpiter encore un peu à côté de lui.
Giovanni Raboni, Représentation de la croix, Traduction de l’italien par Jean-Charles Vegliante,
Préface de Jean-Pierre Lemaire, Le Bruit du temps, 2021, pp.52, 82, 89-90
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■ Sur Terres de femmes →Au livre de l’esprit, Traduction de Philippe Jaccottet & texte italien, Préface de Bernard Simeone, La Dogana, 2001
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