<<Poésie d'un jour
Ph. Angèle Paoli
Chant rustique
J’essuie de mes yeux l’ennui afin de te recevoir,
ô printemps, et un déluge de myosotis me fait revenir
à la saison des pluies quand j’entends l’écoulement des eaux
dans l’impatience de l’estuaire. Je lance les pierres de l’automne
contre l’ange aveugle de l’aube, et ses ailes
s’étendent sur les nuages descendus jusqu’au champ
où la bergère a perdu son troupeau, et me demande
le chemin pour l’ultime clairière de la vallée. Je m’assieds
à ses côtés, sous le frêne ancien, et le vent convalescent
de la tempête sèche ses larmes, alors que je lui retire
sa tunique d’églogue, afin que son corps boive
une liqueur de pétales endormis.
« A la croisée des chemins, l’amour viendra à votre
rencontre, ô amants incertains ! Il apportera dans ses mains
les cendres tièdes d’un désir vague, il vous demandera
de les prendre, afin qu’un feu d’images
vous pousse l’un contre l’autre ! » Ce fut ce que la bergère me raconta,
avec sa voix enrouée par la nuit ; et elle me donna à feuilleter
les pages de son corps à la recherche d’un vers oublié,
comme si je pouvais le sculpter sur sa peau. Mais ses mains
emprisonnaient le temps, et ses yeux m’ouvrirent
le labyrinthe d’où elle m’avait appelé, dans l’invitation
impatiente de celles qu’on a aimées, sans espoir de lendemain – celles qui
laissèrent dans l’horizon sans brume
le sillon d’un reflet.
Nous n’avons pas rencontré le troupeau, et le frêne a perdu
et récupéré ses feuilles sans que nous ne nous en soyons aperçus. De nouveau,
les cieux opaques ont apporté le poids de leur noirceur, et
un essaim d’astres a renouvelé le rêve de l’infini
autour de ses cheveux. Dans la clairière où sa voix
a suspendu le temps, j’ai dévoilé son visage, et
j’ai lu sur ses lèvres une supplication d’ombre
et toutes les syllabes d’une offrande
éphémère.
Nuno Judìce, Naviguer à vue, poèmes traduits du portugais par Béatrice Bonneville-Humann et Yves Humann,
Revue Nunc| Éditions de Corlevour, 2017, p.7
Canto rústico
Limpio de tedio mis ojos para recibirte,
oh primavera, y un diluvio de nomeolvides me hace regresar
a la estación de las lluvias, oír el correr de las aguas
con impaciencia de estuario. Lanzo la piedra del otoño
contra el ángel ciego de la madrugada y sus alas
se extienden bajo las nubes descendidas hasta el campo
donde la pastora que se perdió del rebaño me pregunta
el camino hacia el último claro del valle. Me siento
a su lado bajo el fresno antiguo y el viento convaleciente
del temporal le seca las lágrimas mientras la despojo
de su túnica de égloga para que su cuerpo beba
un licor de pétalos adormecidos.
« En estas encrucijadas, el amor vendrá a vuestro
encuentro, ¡oh amantes inciertos! Traerá en sus manos
las cálidas cenizas de un vago deseo y os pedirá
que las recojáis para que un fuego de imágenes
os empuje a uno contra el otro! ». Fue lo que me contó la pastora
con su ronca voz de noche; y me hizo hojear
las páginas de su cuerpo en busca de un verso olvidado
como si lo pudiera esculpir en su piel. Pero sus manos
apresaban el tiempo y sus ojos me abrieron
el laberinto al cual me llamó con la invitación
impaciente de las amadas sin destino, esas que
dejaron en el horizonte sin niebla
el surco de un reflejo.
No encontramos el rebaño, el fresno perdió
y recuperó las hojas sin que nos diéramos cuenta. De nuevo
los cielos opacos trajeron el peso de su negrura y
un enjambre de astros renovó el sueño de lo infinito
en torno a sus cabellos. En ese claro en que su voz
suspendió el tiempo alcé el velo de su rostro y
leí en sus labios una súplica de sombra
y todas las sílabas de una ofrenda
efímera.
Nuno Judìce, Navegação de Acaso, Dom Quixote, Lisboa, 2013.
NUNO JÚDICE Source ■ Nuno Júdice sur Terres de femmes ▼ → Désir (poème extrait de Geometria Variável) → Deus (poème extrait de Meditação sobre Ruínas) → Semiología (poème extrait de o movimento do mundo) → Un thé dans la véranda (poème extrait de Naviguer à vue) ■ Voir | écouter aussi ▼ → (sur BiblioMonde) une notice bio-bibliographique sur Nuno Júdice → (sur La Pierre et le Sel) une page sur Nuno Júdice → (sur lepetitjournal.com ) un portrait de Nuno Júdice → (sur le site de la Fondation Calouste Gulbenkian) une bio-bibliographie (en portugais) de Nuno Júdice → (sur Lyrikline) plusieurs poèmes de Nuno Júdice dits par l’auteur → (sur Recours au Poème) cinq poèmes de Nuno Júdice traduits du portugais par Béatrice Bonneville et Yves Humann |
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