Laissons faire les morts.
À Eric Sautou
les mères s’en vont
et l’eau fait des nœuds noirs sous les barques
il n’y a plus d’ombre d’été, de dimanches
les robes ont encore l’air de vivre
les fleurs s’ouvrent pour personne
la pivoine à la livrée rouge
tombe entière dans la main
sur les labours
de grands bœufs s’écartèlent
un automne stationne
Laissons faire les morts. Laissons-les faire en nous sans les
couvrir du son des craintes.
Si on se retranche dans le pli le plus fin et le plus reculé de soi
on verra – ainsi que les formes naissent, hésitent près de la terre
(épis mauves, fleurs rondes), des régions épineuses où vivent les
nids avec leurs œufs fermés – comment nous-mêmes hésitons
chaque jour à reprendre forme, à considérer le morne et le
relief et à garder pour soi une grande et lourde chose.
À la force des tristesses, à la force des morts et à celle des
inquiétudes qui dérobent la douceur et contraignent à
seulement longer les bois, opposons une fragilité et non une
autre force, car il n’y a rien à vaincre.
Tant mieux si pour un temps dominent la timidité et la dent
des bêtes sauvages, les vieilles forêts, la pure angoisse de la
nuit et la pure angoisse du jour. Comment sinon pourrait-on
se tourner vers les visages, se tenir devant la puissance et la
solitude des visages ?
la pluie droite
sur le chemin de terre
glisse sur Jean le Lieu
comme sur un vieil oiseau
ou une embarcation
des pans d’imperméable
faseyent et claquent
dans son dos
où s’enfonce-t-il, jusqu’où
dans ses pensées
laissant venir à lui sa vie muette ou dormir
sous des feuilles qui ont la couleur des fruits ?
Véronique Gentil, On construit des maisons mais on ne les finit pas, Faï fioc 2021, pp. 51,52,53.
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VÉRONIQUE GENTIL
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