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Rédigé le 19 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
VERS UN REGAIN DE LUMIÈRE / LE VOYAGE SOTÉRIOLOGIQUE D’EMMANUEL MOSES Tout le monde est tout le temps en voyage. Sauf peut-être le poète, qui, « le nez collé au crépuscule », contemple, de haut, de loin, de derrière sa fenêtre, ce que lui offre la vie. Peut-être est-il cet homme chenu qui, depuis le balcon de la première de couverture, se penche pour regarder la vie qui passe ? Ou cet autre, plus loin, « accoudé à la rambarde », qui « fume et regarde les ronds qu’il fait se / mélanger à l’air bleu »… N’est-ce pas là une manière originale de voyager, l’air de rien, entre intérieur et extérieur, dans la mémoire et dans les songes ? Tout le monde est tout le temps en voyage. Sous ce titre aux accents familiers, empreints d’une bouderie enfantine qui fait sourire, n’est-ce pas tout l’humour d’Emmanuel Moses qui se profile, entraînant dans son sillage une invitation au voyage immobile ? Car chacun des poèmes qui composent ce recueil est à lui seul une invitation vers l’ailleurs. Souvent sur/en quelques vers à peine. Un ailleurs multiple, secrètement abouché au temps, fait de souvenirs heureux, liés à l’enfance, de généalogie familiale douloureuse, exils errances « enfer des camps » ; de cérémonies festives « aux parfums de Terre Sainte », de déambulations au Louvre qui conduisent le poète vers les cinq grandes réalisations bibliques de Nicolas Poussin, de séjours au bord de la mer, de visions déroutantes et de rêves. De réflexions sur l’après-vie. « Tout allait bien jusqu’au moment où tu es mort ; C’est alors que les choses se sont compliquées… ». Car, derrière l’humour, pointe le sérieux des réflexions, lequel ouvre sur les abîmes philosophiques qui habitent le poète. Ainsi, de la pensée du « hasard » et de « la nécessité », héritage de Démocrite ; de ce verset de la Genèse, illustrant l’aveuglement des hommes ; ou encore de ce rêve où se pose la difficile question du pardon. Il arrive que le monde extérieur se révèle agressif et violent. Le poète se replie alors, fenêtres closes, pour échapper à la destruction. L’espace réduit en « cendres de silence ». Les poèmes sont une étoupe dont il faut tirer les fils, l’un après l’autre, pour se rapprocher du centre et peut-être en cerner le secret. Les questions se pressent, qui interrogent le travail entrepris. Quel en est le but et le sens ? « Les fils ramassés en écheveau Tout ce travail de la pensée vain comme le mouvement des vagues et des nuages Quel est cependant son secret ? De quel voyage est-il le but ignoré ? Comment trouver le sens de sa peine perdue ? » . Le poème peut se poser en énigme où s’affrontent, en quatre vers, infiniment grand et infiniment petit. Le poète n’a pas son pareil pour pirouetter entre absurde et fantaisie. Puis, tournant le dos à son constat premier, laisser ses auditeurs à leur perplexité: « Un moustique a dépassé Dieu Mais peu importe au fond Je ne sais pas pourquoi je vous annonce cette nouvelle De toute façon il n’y a rien à voir. » Derrière la fenêtre, paupière qui ouvre et ferme sur le rêve, les voyages, multiples, prennent des voies inattendues. Des sirènes séductrices entraînent le dormeur dans des espaces nimbés d’érotisme imprévu. Ailleurs, les extrêmes se rapprochent comme dans la Bethléem « flamande », souvenir de l’univers de Brueghel. Le dernier vers qui clôt la section « Tardives » — « Oiseau, poisson de l’éternité » — fait résonner en moi ces deux vers de Bestiaire d’Apollinaire : « Est-ce que la mort vous oublie Poissons de la mélancolie ». L’oubli ? Présent dans les poèmes d’Emmanuel Moses, il l’est jusque dans la peinture de Tereza Lochmann en hors-texte dans la partie médiane du recueil. L’artiste en propose une interprétation personnelle. La toile représente un homme en pleine réflexion, les yeux bandés. Devant lui, sur un carton, sont inscrits ces mots : « Our sensuality is a longing for oblivion » / « Notre sensualité est un désir d’oubli ». Tirée du Guépard (œuvre de Tomasi di Lampedusa), cette phrase est adressée par le Prince Salina — dernier représentant d’un monde ancien en train de disparaître — au sénateur Chevalley. La sensualité est chez le prince perçue comme un remède pour oublier que l’homme est mortel ; pour oublier que tout ce que l’homme entreprend et à quoi il reste attaché est voué à l’effacement et à la disparition. Fidèle à ce qui l’habite en profondeur, Emmanuel Moses décline pour notre plus grand plaisir ou notre tout aussi grande perplexité, nombre de paysages et de récits qui façonnent son arrière-pays culturel et sentimental. Lequel ouvre, à la manière des poupées russes, sur des perspectives inédites et des interrogations nouvelles : « Je me rends compte – autre découverte — que ce texte a pour sujet secret l’abréviation graphique "etc.", comme si son thème souterrain était cela : et ainsi de suite ce qui correspond finalement à son idée première : je suis la suite de mes ancêtres et après moi mes descendants prendront ma suite. Etc. » (in « Une tombe dans la plaine »). Il inclut dans cette suite son fils Jonas, à qui il lègue ce lourd patrimoine et à qui il dédie le second texte en prose de cette même section qui n’en comporte que deux : « Mon fils, en caressant du doigt leur absence [l’absence des objets] chuchotait quelque chose comme on murmure à l’oreille d’un mort ce que l’on veut qu’il emporte avec lui comme message pour son dernier voyage. La cage d’escalier baignait dans une lumière irréelle, celle de l’enfer, sans aucun doute, un enfer qui ne serait pas au-delà de cette vie mais en retrait d’elle, dans son dos. » Semblable à l’ange de la mélancolie — peinture de Tereza Lochmann —, ailes repliées et visage reposant entre les bras croisés, le poète veille. Perdu dans la « selve obscure des rêves », il s’offre cet inconnu que le cœur lui réserve, palpitant entre diastole et systole. « Le cœur s’ouvre et se ferme Il est une fenêtre rouge Qui donne sur l’inconnu. » Un inconnu palimpseste, qui, bien souvent, gît dans le nombre 3. Trois vers, comme dans le Mardi des « Quatre jours » (première section du recueil) ; ou comme les 3 nom(bre)s de Promenade : « Ton ombre » / « Ton nom » / « tes chagrins » ; lesquels complètent les trois mots clés du premier poème de cette même section : « Ma langue » / « Mes souvenirs » / « Mes chagrins » ; ou encore comme les trois rêves présents dans « Une collection de rêves » ; ou dans « trois syllabes » — « de son prénom » — « qui se sont dissoutes dans l’air/bleu du jour » (dans la section « Fougeroles »). Tout un décor crypté se dessine dont l’on pressent qu’il est parfois difficile de se séparer tout comme il est difficile pour le poète de se défaire de ses propres contradictions. Ainsi en est-il de semer « les moineaux » (« langue » / « souvenirs » / « chagrins ») qui l’assaillent et que pourtant il ne cesse de nourrir ; ou d’échapper aux symboles qui toujours le poursuivent. Quant au temps, si difficile à cerner, il l’est tout autant à définir. Seules des comparaisons inattendues permettent d’en approcher les contraires ; « Le temps s’enfonce de plus en plus dans son contraire Comme l’aiguille d’acier dans la peau tendre Comme les bêtes noires dans les buissons enneigés ». Le lecteur pourrait penser qu’avec les poèmes rassemblés dans « Fougeroles », dernière section du recueil, le voyage entrepris gagnerait en légèreté printanière. Il n’en est cependant rien. Même si le renouveau de la nature se manifeste par éclats de beauté et de lumière, l’esprit du poète demeure le même. Meurtri par les séparations, hanté par les ombres, rivé à l’obsédante « attention aux signes du passé », le poète est toujours habité par la pensée fidèle de la mort : « Parvenu au seuil Dépose les insignes de la vie Montre, clés, lunettes Et franchis-le d’un bond Entre Une fois dépassée la fin — enjambée — Dans l’éternel entretien. » Des fragiles fougeroles, il ne restera entre les amants que « le souvenir / des fougeroles fixées, frôlées, foulées, froissées. » Rien d’étonnant dès lors que le recueil d’Emmanuel Moses se close sur le plus étrange des poèmes. « Extraterrestre ». Un hommage singulier — détourné peut-être — au « grand poète victorien » Gerard Manley Hopkins. Poème visionnaire « irrévérencieux » dans lequel Emmanuel Moses associe et assemble ce qui, en poésie, et plus encore dans un « envoi », peut passer pour une remarquable inconvenance. De ce mélange des tons et des genres, le poète fait un cocktail macabre dérangeant et néanmoins drôle. Ce qui n’est plus vraiment pour nous surprendre. Ainsi peut-on lire dans le même poème (le plus long du recueil) l’admiration sincère que voue le poète français à son homologue britannique, et la marque de son ludique irrespect : « Je pense sincèrement qu’Hopkins était un ange Il a vécu en ange, il est mort en ange et lire ses poèmes c’est entendre parler un ange. […] C’est irrévérencieux d’associer dans un même poème Hopkins et un rectum, j’en conviens. Je n’y peux rien. » Ainsi Emmanuel Moses, pour qui « les mots sont des revenants/[a]uxquels nous donnons une nouvelle vie », fait-il revenir par les siens, sur les devants de sa scène poétique, le nom de ce poète « ardu » qui influença les plus grands : T.S. Eliot, Wystan H. Auden et Dylan Thomas. Et peut-être même, plus près de nous, Emmanuel Moses lui-même. Un « revenant », Hopkins, sous la plume d’Emmanuel Moses ? Un « élu » plutôt, promis à la Rédemption ? Peut-être faut-il lire sous les mots de la poésie de Moses un tremplin pour accéder au salut ? Même éphémère, même ludique, le salut respire sur la page. Dans le vers de Léon-Paul Fargue choisi par Moses en exergue à ce recueil : « Il fait si doux qu’on est sauvés ». Puis dans le premier poème de « Spectatrice de l’océan » : « Ici, voyageur, tu seras un homme nouveau, Et toi qui l’accompagnes Silencieuse, âme cachée, Tu seras récompensée d’un regain de lumière. » |
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Rédigé le 18 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
IRÈNE DUBŒUF Source ■ Irène Dubœuf sur Terres de femmes ▼ → Lisières (extrait d’Effacement des seuils) → [Incertitude du ciel] (extrait de Cendre lissée de vent) → [Une lueur confuse s’empare de la terre] (extrait de Triptyque de l’aube) ■ Voir aussi ▼ → le site d’Irène Dubœuf → (sur le site de la revue en ligne Possibles, nouvelle série [n° 4, janvier 2016]) une page consacrée à Irène Dubœuf |
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Rédigé le 17 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
[CONSIDÉREZ LE CIEL SOLAIRE] Considérez le ciel solaire à l’heure de l’extrême incandescence : c’est là qu’il nous faut traverser. Des barques croisent dans ce lac de lumière. Aiguisez mieux votre regard : vous les verrez franchir sans bruit cette brume éblouie et, par-delà, s’ancrer dans les eaux de la nuit pour y plonger éternellement leurs filets dans les profondeurs. Philippe Jaccottet, Le Dernier Livre de Madrigaux, II, poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2021, page 31. feuilleter le livre |
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Rédigé le 16 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Rédigé le 15 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
JEAN MARC SOURDILLON Source ■ Jean Marc Sourdillon sur Terres de femmes ▼ → Le milan (autre poème extrait de L’Unique Réponse) → Comme des frères → [Cet imperceptible oiseau très loin] (extrait de Dix secondes tigre) → Au commencement (extrait des Miens de Personne) → [Deux fois l’an, pendant l’été] (extrait d’En vue de naître) → Les Tourterelles (lecture d’AP) ■ Voir aussi ▼ → une lecture de L’Unique Réponse par Jean-Michel Maulpoix [PDF] ■ Note de lecture de Jean Marc Sourdillon sur Terres de femmes ▼ → Isabelle Lévesque, Le Fil de givre |
Rédigé le 14 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
CHRISTIAN DOTREMONT Source ■ Christian Dotremont sur Terres de femmes ▼ → [Quand l’avez-vous vue ?] (autre extrait d’Ancienne éternité) → Kara ■ Voir aussi ▼ → (sur Les Hommes sans épaules) une notice bio-bibliographique sur Christian Dotremont |
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Rédigé le 13 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
Images satellite du Lac Tchad Source : NASA Earth Observatory EN REMONTANT LE LAC TCHAD Un lac ne se remonte jamais. Il malmène la droite ligne qui va de A à B. Bien des phénomènes obéissent à cette loi, excepté ceux qui gouvernent le lac Tchad. La grande réserve d’eau est formée de panses et bagatelles, on dirait des bourses entre ses jambes de grand mâle. Un esprit mal tourné le comparerait à la démarche des femmes opulentes, qui sont de véritables océans portatifs. Le lac Tchad est une gourde que les filets des marins pêcheurs draguent sans discernement. Ainsi se dessine son courant animé par un mouvement pendulaire. Alors, les eaux se répandent, heureusement endigués par le cercle magnétique terrestre qui, à l’image de l’horizon, met à contribution ses vitrines blindées en vue de les empêcher de verser hors du monde, quand les Martiens prennent le frais au crépuscule. Le lac Tchad est la dernière station des eaux douces du monde. Les courants intersidéraux les ont déposées dans la galaxie de l’Orient pour notre aise. Tous les soirs, les étoiles nous rappellent à son bon souvenir. Et les randonneurs aussi, qui vont y boire pour l’ivresse et la joie. Nimrod, Le Temps liquide, récits, éditions Gallimard, Collection Continents Noirs dirigée par Jean-Noël Schifano, 2021, page 18. |
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Rédigé le 12 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
« (écrire c’est trembler) » Collage photographique, G.AdC « (ÉCRIRE, C’EST TREMBLER) » Dernier recueil d’Éric Sautou, Beaupré offre une traversée dans un temps infini qui s’étaie sur la coulée des jours. « Les jours et les jours ». Jusqu’à « Beaupré », lieu affectionné de l’enfance. Beaupré, son jardin, sa véranda, sa balançoire, ses fleurs. Une campagne hors du monde qui tient son univers entier entre ses deux syllabes jointes. C’est dans cet univers-là que prennent place les mots d’Éric Sautou. Des mots qui se cherchent, se répètent, faisant retour sur eux-mêmes, à l’identique. Des mots simples qui disent la solitude grande, le chagrin et l’absence. La perte et la mort. La véranda, cette véranda qui donnait son titre à un précédent recueil est celle, désormais vide, de la mère du poète. Le poète dédie à Marcelle Sautou ce Beaupré dont le titre aux résonances marines s’éclaire en cours de lecture. Le nom de Beaupré est tour à tour associé à un lac aux eaux dormantes et narcotiques ; à la « mémoire (vide) » ; à la mort de la mère — « perdue », « noyée ». Il est le mot sur lequel se clôt le recueil, cette « eau sombre » des nuages dans laquelle l’enfant poète désire pénétrer et se perdre, jusqu’à l’oubli : « c’est moi l’enfant (l’absent) laisse-moi entrer des nuages (nuages) je n’en vois qu’une eau sombre Beaupré ». C’est pour sa mère que le poète écrit, dans le tremblé d’une existence qui se vit dans la proximité de sa disparition : « rien faire sans toi plus rien écrire d’autre (j’écris pour toi qui n’es plus là). Peut-être aussi pour parvenir au silence auquel le poète aspire : « j’écris pour ne plus rien écrire (je m’assieds vraiment seul) ». Le lecteur fidèle à l’œuvre du poète retrouve dans les pages de Beaupré une même mélancolie ; une même atmosphère lente, à la fois désuète et obsédante, construite à partir des mêmes motifs. La solitude, indépassable, le vide, le rien, les questions sans réponse, l’incompréhension, le silence, l’attente. La disparition. Le suspens. « vois ce sont des feuilles des fleurs qui une à une elles aussi » ou encore, dans ces vers, étranges et mystérieux : « est-ce que nous allons vraiment vraiment alors c’est vraiment ça nous allons vraiment ». Aller ? Dans quel sens ? Aller vers ? Aller bien ? Aller ensemble ? Seule l’insistance de l’adverbe ponctue le discours comme pour se convaincre, ou convaincre l’autre à qui il s’adresse, du bien-fondé de sa réflexion. Le recueil s’ouvre sur la mère, dans le vague des formes qui l’entourent et qu’elle ne parvient pas à définir : « je fais quelque chose mais quoi… ». Sur un temps qui passe à l’identique, temps inchangé d’une saison l’autre : « les jours c’est un jour de plus cependant il est trop tard cependant je le sais ». Beaupré se clôt sur la demande du fils qui se présente devant l’eau sombre de l’oubli. Elle/Lui. Elle avec l’autre, à la fois pareil et autre. La mère voit en son fils un autre soi-même, vision-miroir. Qui va de pair avec le désir du toujours, immuable, identique aujourd’hui à ce qui fut, afin que rien ne change. Le « nous » parfois les réunit dans l’alternance de l’un à l’autre ; pour aboutir à l’abolition de toute différenciation : « vois comme le jardin la maison désormais et comme ici nous sommes seule à seul désormais ça n’a plus d’importance ». À ces vers répondent, plus loin, ceux du poète, comme un écho assourdi : « je suis seul d’être avec toi je te parle de toi j’écris dimanche d’autre chose maison de soi vie où nous sommes qu’est-ce qui qui s’en va qui disparaît ». Il arrive que les voix se brouillent. Que l’on hésite un moment entre elle et lui. Que l’on se perde dans la question « qui parle à qui ? » Comme dans ces vers qui tournent en boucle : « je suis avec toi (qui me ressembles) avec toi qui me ressembles oh vivre est là depuis toujours avec toi qui me ressembles ». Une osmose les confond : elle, sous ses mots ; lui, avec les siens, que la mère ne comprend pas. Parce qu’« écrire est à l’écart ». C’est sans doute ce qui sépare la mère de son fils et fait entre eux écran. Car la mère n’a pas les mots, ne sait que dire, n’a rien à dire ou si peu de choses que ce peu rejoint le rien, le silence le vide. Parfois, pour un dialogue construit sur le manque, un aveu. La peur de ? L’hésitation. Un dialogue au-delà des mots ; au-delà de toute temporalité. « peur d’être seule parfois ce que tu ne dis pas je n’ai pas su quoi faire je te raconte ça je t’aime (je t’aimais) ». C’est la force d’Éric Sautou de tisser le poème à partir de ces mailles insaisissables faites de répétitions et de parenthèses. Des parenthèses qui interrogent, tant elles font partie intégrante de l’écriture du poète, de son mode de pensée. Que disent-elles, ces variations sur l’infime ? Ces légers déplacements sont-ils un prolongement du vide, de la chute, du rien ? Ou une forme de lallation propre à endormir ou anesthésier la douleur ? Souvent les parenthèses reprennent les mots des poèmes comme si les fleurs, les feuilles, les heures, les jours, la pluie ou le soleil, les mots (« choses écrites ») — tout ce qui tombe en cours de vers — s’assourdissait (s’amenuisait ?) dans la répétition ou dans l’écho infini d’une onde qui se noie. C’est pour sa mère que le poète continue d’écrire, pour prolonger un peu ce tremblé d’un temps qu’ils avaient tous deux en partage : « (écrire c’est trembler) », confie le poète. |
ÉRIC SAUTOU Ph. Sébastien Solidon Source ■ Éric Sautou sur Terres de femmes ▼ → [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré) → À son défunt (lecture d’AP) → [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront) → La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution) → [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances) → La Véranda (lecture d’AP) → [assise et seule assise] (extrait de La Véranda) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou → (sur Terre à ciel) une page sur Éric Sautou |
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Rédigé le 11 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
ANNE SEIDEL Source ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Unes) la page de l’éditeur sur Khlebnikov pleure → (sur le site du Matricule des Anges) une lecture de Khlebnikov pleure par Emmanuelle Rodrigues |
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Rédigé le 10 mars 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)