L’herbe qui tremble, 2020.
Photographies d’Elena Peinado Nevado.
Lecture d’Isabelle Lévesque
DES MOTS BLANCS SUR LA NEIGE Flocons, les mots du titre, pâles sur l’arbre d’or qui n’occupe qu’une partie de la couverture ? Ou bien sont-ils vêtus de blanc, comme pour une cérémonie augurale ? C’est le quatrième livre du poète Max Alhau à L’herbe qui tremble, il retrouve la photographe Elena Peinado Nevado qui avait accompagné déjà Si loin qu’on aille*. Ces images d’un temps suspendu nous montrent des arbres, souches, branches, captés l’hiver le plus souvent, figures de ce qui demeure dans un paysage dépouillé qu’on ne saurait dater. Traces sépia de ce qui nous traverse lorsque la mélancolie devient l’âme du paysage. Des interrogations ouvrent le poème. Ce n’est pas anodin, le questionnement survient au terme d’un parcours dont on cherche à percevoir le sens : « À quoi auras-tu acquiescé si ce n’est à sentir le temps se fermer sur tes rêves, à attendre de chaque saison un don furtif et sans espoir ? » Ces questions, très présentes dans le livre, suggèrent et éludent en même temps les négations, les transformant en quantitatif réduit, c’est leur force. « Peu » pourrait être l’adverbe de réponse à ces demandes et l’on sent que cette réduction au minime justifie vivre et écrire, « entre le vide et le vertige ». Le recours au futur antérieur, à la place du passé composé, ouvre un temps plus large et universel aux questions ainsi lancées, élargissant la portée du pronom « tu ». C’est toujours une mesure humaine que nous propose Max Alhau : au regard d’une vie, toujours considérée comme « une vie en sursis », il nous fait entrer dans l’observation fine de ce qui a été traversé. Toujours, le paysage définit le cadre de cette pérégrination singulière à laquelle nous sommes intégrés (le pronom tu d’ailleurs, équivalent de je, facilite l’identification). Le marcheur sait qu’il traverse des territoires, mais le sens s’est perdu comme la possibilité de rejoindre : « Devant soi on mesure cette étendue de terre bleuissant dans le soir et que l’on sait ne jamais rejoindre, comme une voix se perd dans les sous-bois et n’appartient à personne. » Cet écho, cependant, justifie que l’on s’attarde et le poème, mélancolique, propose le rythme de retrouvailles. L’échelle humaine du temps permet des approches : l’adverbe « peut-être » ouvre une perspective sous la forme interrogative d’une rencontre « passage ouvert / vers les ténèbres ou la clarté, / on ne sait ». La négation ne clôt pas l’espoir, elle pose sur les vers un possible. Le verbe « pactiser », employé à plusieurs reprises, révèle une tentative : l’apprivoisement par la parole. Tout le poème tend vers cet accomplissement, un adoucissement de la mélancolie par la captation de ce qui reste et vibre, d’un élan malgré le doute, d’un rêve de mots dont la matière, la couleur et le parfum pourraient être ceux de la vie : « De l’amour, de la douleur que pourras-tu dire si les mots comptent moins que le blanc qui les compose ? » Le « voyageur sans bagage » de ce livre n’est pas amnésique, mais il sait la mémoire toujours menacée d’oubli, les mots en instance d’effacement ou d’ensevelissement. « Le pont franchi, on a déjà oublié la rivière. » Chaque poème s’inscrit comme une trace, une empreinte fragile sur la page, « des traces de buée sur un miroir brisé ». Le marcheur de Max Alhau rejoint, par les éclats de souvenirs heureux et par la profonde mélancolie, le Wanderer de Schubert, ou les chants du Voyage d’hiver. Comme les voyageurs de Caspar David Friedrich, il contemple l’infini du paysage, se perd dans le « cosmos ». Mais ici le voyageur, rappelant ses rêves, ses désirs et ses soifs que les dieux ignorent doit se garder des « mirages » alors que, quittant ses chères montagnes, il semble se diriger vers le « désert ». Comment « inventer la suite d’une vie qui cahote » ? Face à ce qui vient, ne pouvons-nous que nous « réfugi[er] dans notre mémoire » ? La troisième partie, « Impressions », propose une suite de poèmes en prose dans lesquels le narrateur s’adresse parfois à l’aimée disparue : « toi dont ne subsiste que la transparence de la lumière sur une vitre après l’orage », murmure-t-il. « Ce fut le temps de la douleur, l’orage dévastant l’aube et toute parole devenant son propre écho. Ce fut le temps et son saccage, celui du corps et de l’amour perdu dans la tourmente et que plus rien ne ranime. » Mais les poèmes témoignent aussi d’une acceptation, d’une volonté de conciliation : « vois dans cette fragilité la raison même de dévoyer ta peur et de t’en affranchir ». Le repli ne s’opère pas, neige (est-ce un « mot en blanc » ?) devient le sésame d’une naissance : « Neige qui force à la patience, sollicite le rêve d’une saison future sans que le regard soit trompé par les apparences. » L’issue du poème n’est pas le mot fin, comme le mot secret neige, il invite à accomplir notre destin accepté dans les retrouvailles recommencées avec les saisons. Chacune laisse une trace, celle de mots blancs sur la neige. |
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