éditions Flammarion,
Collection Poésie/Flammarion, 2021.
Lecture d’Angèle Paoli
« (écrire c’est trembler) » Collage photographique, G.AdC « (ÉCRIRE, C’EST TREMBLER) » Dernier recueil d’Éric Sautou, Beaupré offre une traversée dans un temps infini qui s’étaie sur la coulée des jours. « Les jours et les jours ». Jusqu’à « Beaupré », lieu affectionné de l’enfance. Beaupré, son jardin, sa véranda, sa balançoire, ses fleurs. Une campagne hors du monde qui tient son univers entier entre ses deux syllabes jointes. C’est dans cet univers-là que prennent place les mots d’Éric Sautou. Des mots qui se cherchent, se répètent, faisant retour sur eux-mêmes, à l’identique. Des mots simples qui disent la solitude grande, le chagrin et l’absence. La perte et la mort. La véranda, cette véranda qui donnait son titre à un précédent recueil est celle, désormais vide, de la mère du poète. Le poète dédie à Marcelle Sautou ce Beaupré dont le titre aux résonances marines s’éclaire en cours de lecture. Le nom de Beaupré est tour à tour associé à un lac aux eaux dormantes et narcotiques ; à la « mémoire (vide) » ; à la mort de la mère — « perdue », « noyée ». Il est le mot sur lequel se clôt le recueil, cette « eau sombre » des nuages dans laquelle l’enfant poète désire pénétrer et se perdre, jusqu’à l’oubli : « c’est moi l’enfant (l’absent) laisse-moi entrer des nuages (nuages) je n’en vois qu’une eau sombre Beaupré ». C’est pour sa mère que le poète écrit, dans le tremblé d’une existence qui se vit dans la proximité de sa disparition : « rien faire sans toi plus rien écrire d’autre (j’écris pour toi qui n’es plus là). Peut-être aussi pour parvenir au silence auquel le poète aspire : « j’écris pour ne plus rien écrire (je m’assieds vraiment seul) ». Le lecteur fidèle à l’œuvre du poète retrouve dans les pages de Beaupré une même mélancolie ; une même atmosphère lente, à la fois désuète et obsédante, construite à partir des mêmes motifs. La solitude, indépassable, le vide, le rien, les questions sans réponse, l’incompréhension, le silence, l’attente. La disparition. Le suspens. « vois ce sont des feuilles des fleurs qui une à une elles aussi » ou encore, dans ces vers, étranges et mystérieux : « est-ce que nous allons vraiment vraiment alors c’est vraiment ça nous allons vraiment ». Aller ? Dans quel sens ? Aller vers ? Aller bien ? Aller ensemble ? Seule l’insistance de l’adverbe ponctue le discours comme pour se convaincre, ou convaincre l’autre à qui il s’adresse, du bien-fondé de sa réflexion. Le recueil s’ouvre sur la mère, dans le vague des formes qui l’entourent et qu’elle ne parvient pas à définir : « je fais quelque chose mais quoi… ». Sur un temps qui passe à l’identique, temps inchangé d’une saison l’autre : « les jours c’est un jour de plus cependant il est trop tard cependant je le sais ». Beaupré se clôt sur la demande du fils qui se présente devant l’eau sombre de l’oubli. Elle/Lui. Elle avec l’autre, à la fois pareil et autre. La mère voit en son fils un autre soi-même, vision-miroir. Qui va de pair avec le désir du toujours, immuable, identique aujourd’hui à ce qui fut, afin que rien ne change. Le « nous » parfois les réunit dans l’alternance de l’un à l’autre ; pour aboutir à l’abolition de toute différenciation : « vois comme le jardin la maison désormais et comme ici nous sommes seule à seul désormais ça n’a plus d’importance ». À ces vers répondent, plus loin, ceux du poète, comme un écho assourdi : « je suis seul d’être avec toi je te parle de toi j’écris dimanche d’autre chose maison de soi vie où nous sommes qu’est-ce qui qui s’en va qui disparaît ». Il arrive que les voix se brouillent. Que l’on hésite un moment entre elle et lui. Que l’on se perde dans la question « qui parle à qui ? » Comme dans ces vers qui tournent en boucle : « je suis avec toi (qui me ressembles) avec toi qui me ressembles oh vivre est là depuis toujours avec toi qui me ressembles ». Une osmose les confond : elle, sous ses mots ; lui, avec les siens, que la mère ne comprend pas. Parce qu’« écrire est à l’écart ». C’est sans doute ce qui sépare la mère de son fils et fait entre eux écran. Car la mère n’a pas les mots, ne sait que dire, n’a rien à dire ou si peu de choses que ce peu rejoint le rien, le silence le vide. Parfois, pour un dialogue construit sur le manque, un aveu. La peur de ? L’hésitation. Un dialogue au-delà des mots ; au-delà de toute temporalité. « peur d’être seule parfois ce que tu ne dis pas je n’ai pas su quoi faire je te raconte ça je t’aime (je t’aimais) ». C’est la force d’Éric Sautou de tisser le poème à partir de ces mailles insaisissables faites de répétitions et de parenthèses. Des parenthèses qui interrogent, tant elles font partie intégrante de l’écriture du poète, de son mode de pensée. Que disent-elles, ces variations sur l’infime ? Ces légers déplacements sont-ils un prolongement du vide, de la chute, du rien ? Ou une forme de lallation propre à endormir ou anesthésier la douleur ? Souvent les parenthèses reprennent les mots des poèmes comme si les fleurs, les feuilles, les heures, les jours, la pluie ou le soleil, les mots (« choses écrites ») — tout ce qui tombe en cours de vers — s’assourdissait (s’amenuisait ?) dans la répétition ou dans l’écho infini d’une onde qui se noie. C’est pour sa mère que le poète continue d’écrire, pour prolonger un peu ce tremblé d’un temps qu’ils avaient tous deux en partage : « (écrire c’est trembler) », confie le poète. |
ÉRIC SAUTOU Ph. Sébastien Solidon Source ■ Éric Sautou sur Terres de femmes ▼ → [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré) → À son défunt (lecture d’AP) → [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront) → La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution) → [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances) → La Véranda (lecture d’AP) → [assise et seule assise] (extrait de La Véranda) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou → (sur Terre à ciel) une page sur Éric Sautou |
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