Ph., G.AdC SILENCE DU TEMPS (extrait) et si l’on se demande parfois à quoi cela sert de parler lorsqu’innommable la violence de l’Histoire s’impacte dans les corps et dans les âmes c’est là justement qu’il faut noter ce qu’on n’ose prononcer la guerre des ombres l’exode des visages 1915 Mouch jour après jour ces longues files effarées un peuple entier cherchant dans les montagnes une frêle dernière chance interminable chemin dans le désert où se grave son épitaphe 1944 Céreste Roger Bernard gisant dans l’ombre d’un mûrier tournesol du maquis fauché avant l’heure coquelicot du Luberon enlevé à sa terre ses pétales jonchant la route gouttes de sang d’un partisan tombé pour nous 1956 Budapest les chars faisant taire une révolution sans mots d’ordre sauf celui pour chacun de fourbir sa voix milliers d’antithèses ardentes à s’écrire versant l’acide de leur encre rebelle sur l’empierrante injonction des dogmes 1991 Bagdad une nation interrompue par l’inintelligence des bombes au nom du prix du pétrole civilisation hébétée d’un tel contresens dunes d’adjectifs inhumés vifs sous l’impuissance verbale de la puissance du feu 2002 Ramallah ce poids de ruines sur les paupières l’ombre arrachée aux forêts d’oliviers journalier l’héroïsme des lèvres sourdes au fracas des tanks qui rend sourd entre les barbelés perçant les tympans du ciel 2013 Lampedusa l’eau qui se noie dans l’œil des réfugiés aux rêves échoués sur la grève aux noms écorchés sur les rochers leur âme restée au large et leurs visages flottant à jamais en surface de la mémoire 2015 frontière hongroise d’heure en heure l’exil à travers champs la roue du sort voilée par les cahots des prés labourés de cohues innombrables sillons sans autres graines que les gouttes de sueur ensemençant la plaine et partout signes perceptibles des guerres la brisure des voix phrases écrasées sous les chenilles de l’Histoire les gestes nommant sans le dire la chair tuméfiée la tragédie du sang la terre enfouie obsidienne fichée dans le blanc des yeux ça et là sur la terre des chemins les pierres scintillant de rosée au soleil comme autant de larmes durcies dans l’herbe non rien de cela ne doit être passé sous silence […] Stéphane Juranics, Silence du temps, Poésie, éditions La passe du vent, 2020, pp. 23-28. Préface de Roger Dextre. |
STÉPHANE JURANICS Ph. © Olivia Alloyan Source ■ Voir aussi ▼ → le blog personnel de Stéphane Juranics → (sur le site des éditions La passe du vent) la fiche bio-bibliographique de l’éditeur sur Stéphane Juranics → (sur le site des éditions La passe du vent) la fiche de l’éditeur sur Silence du temps de Stéphane Juranics |
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