POÈMES-DIAPOS (3)
Les deux segments du fléau ressemblent aux aiguilles
de l’horloge. Sauf que celle pour les heures tourne
beaucoup plus vite que celle des minutes,
elle tourne, claque, injecte le temps, le dépasse :
cela devient folie, cruauté. Le fléau
passé sur le blé d’un chariot donne la taille
d’une vie humaine. À peine né et déjà
le cœur froid. Dix ares, pas davantage, résument
la collection des peurs et des éclats de rire,
le compte de gauloises, d’enfants et de femmes.
***
Bien sûr qu’au début on est un humble apprenti :
la taille du marbre ne s’improvise pas.
On n’est pas Michel-Ange, on n’est pas François Rude.
On ne taille pas dans le marbre statuaire,
pas de Pietà, ni de pêcheur napolitain :
on découpe, dresse, frotte, supprime, ajoute,
on doucit, on polit. Cette plaque sera
pour le pilier sud de l’Arche de la Défense,
peut-être pour un escalier, la cheminée
d’un hôtel, la tombe d’un enfant mort trop tôt.
***
Quant au métier d’écrire des lignes de mots
le travail fait peur. On a des lèvres, des mains
pour certaines phrases, d’autres pas. On ne sait
quoi dire au silence blanc d’une salamandre.
On fait défiler les diapos d’un projecteur
comme les feuilles glissent noircies de dessous
l’imprimante. Ou l’inverse. On fait aussi la grève
et défile dans sa chambre. On pense compter
pour un peu dans la richesse du monde, on plie
son échelle avant d’aller trop haut, trop fragile.
Jean-Louis Rambour, Le Travail du monde, 100 poèmes-diapos, éditions L’herbe qui tremble, 2020, pp. 15, 42, 122. Peintures de Jean Morette.
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.