[VUE IMPRENABLE]
Vendredi 1er mars
Cette étude sur le va-et-vient des jambes et des pieds peut paraître assez vaine, voire stupide. J’en conviens. Le sujet est loin d’être noble et n’offre pas un intérêt scientifique de premier ordre. En me lisant, on peut même se demander pourquoi je me suis acharné à recenser ces faits et gestes qui ne font qu’apparaître et disparaître. Je répondrais à mes détracteurs qu’il est plus facile de dénigrer ce que l’on tient à distance que ce que l’on fréquente de près pendant des semaines et des mois. Si on jette un regard rapide sur ces foules, on ne verra que des déplacements, dans un sens ou dans un autre, et les beaux esprits, qui me critiquent, en déduiront que je m’adonne à des travaux inutiles. Ce monde mouvant mérite bien mieux. Penchons-nous un peu sur lui. Par exemple : plus on réduit un corps à sa simple expression, moins il prend de place, et comme nos intérieurs en manquent terriblement, ces réductions trouveront en nous asile et réconfort. Nous sommes tous témoins que nous nous laissons plus facilement pénétrer par ce qui n’a pas de volume. Je saisis mieux, à présent, l’expression que nous prononçons devant un océan, ou au sommet d’une montagne : « Vue imprenable ». Elle résume assez bien notre condition, celle de ne pouvoir emmagasiner que sensations, images et mots.
Jean-Louis Giovannoni, L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare, roman intérieur, éditions Unes, 2020, page 31.
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