DE LA MUSIQUE AVANT TOUTE CHOSE
(extrait de Divagabondages)
La musique a bercé ma petite enfance. Le violoncelle de ma mère envoyait à travers les murs de ma chambre des notes dont la nature m’était inconnue et qui accompagnaient les ombres chinoises projetées au plafond par la lanterne magique des stores vénitiens. Le violoncelle de ma mère n’en finit pas de jouer en moi.
Je me surprends aujourd’hui à fredonner des chansons d’un autrefois toujours présent : Jean de la Lune, Le temps des cerises, Le bon roi Dagobert, Il pleut, bergère, ou encore la mélodie que chantait ma tante Claire en faisant sa toilette du matin :
Si j’étais hirondelle
que je puisse voler
à l’île Sainte-Hélène
j’irais le retrouver.
Non qu’elle fût bonapartiste ; simplement, elle aimait cet air nostalgique qui alternait souvent avec celui de Mignon : Connais-tu le pays où fleurit l’oranger ? Elle m’avait aussi appris la Romance de Chateaubriand, que je chante, lorsque je vais à Combourg, en montrant le triste escalier de pierre qui mène au porche du château :
Combien j’ai douce souvenance
du joli lieu de ma naissance !
ma sœur, qu’ils étaient beaux les jours
de France…
Ma jeunesse, à l’école de la campagne et des marais du littoral, s’est enrichie d’un répertoire de chants d’oiseaux qui, de l’aube à la nuit, accompagnaient mes rêveries. À chaque oiseau sa musique : le gazouillis de la rousserolle effarvatte, le rauque et sonore basson du butor, le pipeau de la grive musicienne, les trilles de l’alouette, les vocalises du pinson, les roulades du rossignol, le sifflement modulé des courlis cendrés, la flûte aiguë du petit-duc. Je ne connaissais pas encore Olivier Messiaen.
Les années ont passé. Pensionnaire dans un collège où régnait la musique, j’ai pendant six ans chanté du grégorien et me suis nourri de Josquin des Prés, Monteverdi, Bach, Haendel, Mozart, Beethoven, Poulenc et Honegger. J’en suis sorti avec la certitude que la vie ne pouvait exister sans la musique et je suis resté fidèle à cette forme de religion.
Mes poèmes et mes proses n’ont cessé de la courtiser. Je suis sensible à la musique des mots, à la cadence et au rythme des phrases ou des versets. On dit que Dieu, comme Verlaine, se complait à l’impair, d’où, peut-être, la Trinité : Numero deus impare gaudet. Ce qu’un cancre ou un facétieux, a pu traduire par : « Le numéro deux se réjouit d’être impair. » À la marche militaire (un-deux, un-deux, un-deux) je préfère la valse à trois temps, plus légère, même si la danse n’est pas mon fort.
Tout en écrivant, je recharge mes batteries à l’écoute de ce que les hommes, capables du pire, ont pu créer de meilleur.
revue Confluences poétiques,
n°4, mai 2011
J’aurais dû mentionner aussi le jazz, que j’ai découvert et vécu dans la cave de l’Original Jazz Gang, à Montpellier, animé par Jean-Pierre Suc, où j’ai entendu Louis Amstrong, Albert Nicholas, Sydney Bechet, parmi tant d’autres devenus mythiques.
Frédéric Jacques Temple, Divagabondages, Actes Sud, Collection « un endroit où aller », 2018, pp. 317-319.
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