[LA PLUIE POUR FAIRE LE MATIN]
La pluie pour faire le matin. La pluie les verts plus quelques blancs qui sont comme une autre catégorie de verts. Épuisante éreintante la pluie. Et éreintante la mort d’Yves Bonnefoy avant-hier. Je pense à mon oncle Camille qui était là durant l’enfance. Qui était là comme la pluie. Un homme qui ne disait rien. Ne faisait pas de bruit. Se retirait toute la journée dans sa chambre. Se déplaçait sur des patins de feutre pour ne pas rayer le parquet. Éteignait tôt. Bougeait son grand corps le plus précautionneusement possible dans l’appartement rue des Déportés. Un homme sans visage (aucune photo de lui dans les albums de famille). Sans voix. Un objet invisible parmi les psychés et les pendules faussement Empire du salon. Un jour l’oncle n’a plus été là. Transparente sa mort. À la place un vide insoupçonné. Inversement proportionnel à sa présence dans l’appartement. Un vide ouvert à un questionnement sans repos ni réponse. Yves Bonnefoy était un peu comme ça. Tranquillement là. Tranquillement dans ma vie jusqu’à l’oubli. Puis cette mort qu’on ne s’était jamais figurée. Et le même éreintement sans réponse.
Véronique Daine, Amoureusement la gueule, éditions L’Herbe qui tremble, Collection D’autre part dirigée par Thierry Horguelin, 2019, pp. 39-40. Dessins d’Anne-Marie Finné.
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