Vert, jaune, marron et blanc.
empaillés dans une vitrine)
L’indifférence aux années qui roulent depuis toujours et sans fin
Peut-être que c’est cela Dieu : l’au-delà des apparences diverses
L’indifférence suprême, l’indifférencié suprême
Le temps, Dieu et les hommes, indifférents les uns vis-à-vis des autres
Tels les acteurs, le public, l’auteur, indifférents les uns envers les autres
Pour échapper à la mort
Et non pas comme événement individuel mais comme condition
L’indifférence arc-boutée à l’indifférence
L’une articulée à l’autre
Et formant ensemble un bras plus puissant que celui qui fendit les flots
de la Mer rouge…
Un bras à défier les machines-robots qui déshumanisent l’homme en
le dépossédant
Qui ont vaincu l’humanité comme Moïse vainquit l’onde
Pour y faire passer à pied sec son pauvre peuple
L’indifférence de l’aigle qui vire en cercles larges et lents à hauteur
de cime
Et pour l’œil brillant et minuscule de qui la vallée n’est rien, le fleuve
n’est rien
L’activité humaine n’est rien, la circulation des automobiles et des
trains, rien
La fumée des cheminées d’usines et les chantiers, les carrières, rien
Les champs et les prés, avec leurs tracteurs, leurs moissonneuses-
batteuses, rien
Et même les moutons qu’ils enlèveront dans les airs sans parler des
menus rongeurs
Ne sont rien sous leur regard souverain où on lirait le refus et le mépris
Si on pouvait l’observer de près
Voyez comme il promène sa silhouette cruciforme sur le fond du
ciel d’azur
Et de quelle manière il joue avec les courants de l’air
Quelle leçon que les jeux de l’aigle en sa sagesse !
Le soleil décline devant ma fenêtre
L’instant est silencieux et ce qu’il y a de plus muet entonne un
chant nouveau
J’ouvre le livre des anciens visages d’Égypte
Et je les écoute
Ils me parlent de la mort et de sa morsure
De l’éternité qu’elle fait sourdre de la chair du temps
Et comme je les en remercie, ces très vieux morts
Peints à l’encaustique sur des sarcophages en bois de tilleul
Ou peints à la détrempe sur des sarcophages en bois d’if, en bois
de sycomore
Peints sur des masques de plâtre et sur des voiles en lin
Ces hommes, ces matrones, ces jeunes filles, ces enfants
Prenant éternellement congé de nous
Sur les vertes collines des adieux.
Emmanuel Moses, Quatuor, II , Poème, Le Bruit du temps éditions, 2020, pp. 40-42. [en librairie le 6 mars 2020]
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