L’AMANDIER SOUS LA LUNE
La semence nocturne a mûri dans ma tête,
dans mon nom j’ai scellé l’inconnu sans visage.
Croyant saisir le fruit, l’insecte, l’arc-en-ciel,
et sucer dans le roc l’huile vierge ou le miel,
j’ai glissé vers la nuit sur le miroir des sons :
l’écureuil encagé tourne seul sur sa roue,
au fond du puits rit le silence
où l’abîme s’ébroue.
Sur l’infime épaisseur des mots nous patinons
à reculons depuis l’enfance ;
nous chantons, nous dansons
vers l’infini sans regard et sans nom.
À peine un éclair sur la glace,
dans une poésie est inscrite la trace
de l’oiseau qui raya la fragile surface.
Germant au cœur vieilli de la terre mortelle,
clarté de la mi-nuit, rends mon âme nouvelle !
Sorti vainqueur du temps avant d’être créé,
à soixante-dix ans je commence ma vie :
l’air de Jérusalem est doux à la mémoire,
je m’y sens plus léger qu’un poulain nouveau-né.
Si j’ai les cheveux blancs, c’est qu’ils sont pleins d’étoiles,
la musique est joyeuse encore à l’approche de l’ombre.
Ivre de refleurir au plus noir de l’hiver,
l’amandier sous la lune écoute l’invisible
rouge-gorge caché sous le buisson de givre.
Claude Vigée, Apprendre la nuit, éditions Arfuyen, 1991, pp. 23-25.
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