[C’EST BIEN CONNU. LES LIVRES NAISSENT DES ARBRES]
C’est bien connu. Les livres naissent des arbres, mais les arbres ne disent pas tout. Voilà pourquoi les livres ne révèlent jamais le fond de leur pensée. C’est à la fois leur force et leur faiblesse. Une fois ouverts, ils ne se ferment plus et résonnent du seul bruit de la vie. Ils peuvent même laisser au lecteur le soin de conclure… Pour Augustin, toute lecture vient peut-être de là. De ce besoin effréné de silence. De ces ombres passagères ou de ce ciel bleu-gris. Un jour ou l’autre, il faussera compagnie à cet arbre, il oubliera la beauté sidérante des plages et quittera ce paysage qui n’est qu’un prétexte à rêver. Le moment venu, il n’y aura plus que le poids de son ombre et le bruit des vagues au loin.
Quand ce sera fini, l’arbre se souviendra peut-être de la proximité de l’eau claire et de l’ombre des falaises. Quand ce moment viendra, son arbre redeviendra un arbre comme les autres et rejoindra son espèce première. Autant dire qu’Augustin sera là le jour J. Il est en effet l’un des rares à parler le langage des arbres et à apprécier leur feuillage silencieux. Ce sixième sens lui vient de cette terre irradiante de lumière, de ces chemins où le vent se lève. Ce vocable lui vient de son bonheur présent et des errances passées. Dans son corps, il ressent enfin les bienfaits de la maturité. Il s’écoute revivre. La mer devient houleuse. Il suspend sa respiration. L’espace lui semble vide et dans un geste irréfléchi, il se tourne vers ce souffle chargé d’embruns.
On ne le sait pas toujours, mais le crépuscule n’est pas forcément synonyme d’adieu. Voilà pourquoi quand le ciel prend une couleur d’acier, les arbres restent sur la défensive. Leurs feuillages se frôlent à peine et leurs racines ne sont jamais au coude à coude. Cette précaution d’usage a fait ses preuves parmi les conifères et aurait favorisé l’extension d’innombrables forêts. Depuis, il est de coutume chez les arbres de ne pas gêner leurs voisins. L’arbre d’Augustin, lui, a le sommeil si profond qu’il en oublie les offrandes inhumées à ses pieds. Dès le coucher du soleil, on le voit se recroqueviller sur lui-même, ce qui, chez lui, est signe d’un recueillement intense. Au lever du jour, il se redresse et se souvient de sa verticalité première. Mais il faut attendre le milieu de l’après-midi quand le soleil est à son aphélie, pour qu’il soit plus à son aise. À ce moment-là, ses feuilles resplendissent de lumière et sa silhouette élancée retraverse le ciel. En cet instant précis, la mer semble se taire et un bruit léger se fait entendre. « Prends et lis ! » croit-il écouter au loin… Ces mots qui furent ceux d’Augustin sont à présent les siens. La journée s’annonce radieuse. À 2 900 ans passés, l’olivier de Sidi Messaoud est toujours là où il est, sur ce bloc crayeux qui donne sens à l’azur. L’instant d’après, la sève monte sans bruit. Une autre saison s’insinue en lui. L’heure est venue de se sentir en vie et de comprendre toute l’importance d’être arbre…
Valère-Marie Marchand, « L’olivier de Saint Augustin » (extrait) in Le Premier Arbre Et autres récits qui cachent la forêt, Éditions du Cerf, 2018, pp. 105-107.
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