La tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2018.
Préface d’Édith de La Héronnière.
Peinture de couverture de Cécile A. Holdban.
Lecture d’Angèle Paoli
ENTRE CHARMES ET SORTILÈGES Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa. La petite musique du titre agit comme une brûlure légère, comme une épine ensorcelante. Une nostalgie qui s’immisce sous les mots, glissant d’un poème à l’autre, dans la rondeur du silence et dans la rumeur des vagues. Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa. Ce titre leitmotiv imprime sa broderie tout au long des neuf chants qui composent le recueil de Julien Bosc. Une broderie tout en ajours, tout en finesse et tout en mélancolie. À la croisée du ciel et de la mer a lieu la rencontre. À la croisée de quatre couleurs se nouent les prémices du récit, dans le mystère de ses mots à elle, « dont le dernier mot / est l’écho silencé du premier ». La rencontre se poursuit entre. D’autres couleurs, plus vives, plus chaudes mais toujours dans l’interstice de l’entre-deux. « Entre bleu et vert » / « entre gris et noir » d’abord. Puis « entre orange et rose » / « entre rouge et jaune ». Entre estran et terre. Et, très vite, entre amour et mort. Mais ce sont ses mots à elle — « les mots du corps » — qui servent de sésame à l’écriture. C’est avec eux que le récit aurait pu prendre son essor. Et que pourtant celui-ci se brise pour renaître plus avant de ses cendres : « Ainsi du semblant du récit ne resta-t-il plus qu’une ombre imparfaite et mouvante agitée par des courants violents et contraires. » Puis, plus loin, « des versets s’amuïssant refluèrent », qui ouvrirent la voie au poème et aux « mots à venir ». De cet échange de voix, il reste entre nos mains ce recueil d’une poésie lyrique ciselée jusque dans sa beauté extrême, jusque dans son extrême recherche. Sans pour autant que l’émotion qui s’en dégage en soit affaiblie. Tout au contraire. Les ciselures avivent l’émotion d’une touche singulière qui fait de chaque poème un chant alterné à deux voix, un carmen ouvragé et mystérieux. C’est à travers son regard à lui — « la vigie du poème » —, regard de poète attentif à l’autre et au moindre détail saisi au vol, qu’elle survient, dans les différentes phases de ses apparitions. Annoncée, toujours, par le leitmotiv « elle avait sur le sein des fleurs de mimosa ». Le refrain égrène à sa suite de menues variations, comme le vent emporte dans les embruns la robe de la belle. « La dévoilant longue et blanche », nue et liane, « vent debout dans la nuit faussement silencieuse ». Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Que fait-elle sur ce promontoire, livrée à la violence des rafales, dans ce paysage marin-cosmique, à la croisée du rêve où tous les possibles se rencontrent et se confondent ? De quel deuil cherche-t-elle le pansement ? Qu’est son amour devenu ? Amant défunt dont elle s’abîme à ranimer les braises. Quel est cet autre qui s’avance à sa rencontre ? À qui s’adresse-t-elle, perdue-éperdue, sinon au vent : « Ah vent errant de la parole désœuvrée » ? Se sont-ils parlé ? Du bout des lèvres peut-être, « la voix sans voix ». Ce qu’il reste de leur échange est peu de chose. Ce sont « [l]es mots en réserve du poème inlassablement replié sur lui-même Les à peine deux ou trois larmes de rien contre lesquelles on ne peut mais ». Et dans la bouche cet « âpre goût d’inachevé ». Entre confidence et échange, le récit se poursuit. La belle continue d’habiter le poème et de laisser sa vie dériver sous les mots. Jusqu’à appréhender — peut-être — le désir enivrant de « conjurer la mort. » Mais la mort toujours rôde et le vent déraisonne qui sème le doute et repousse à plus tard « l’avant-silence du récit. » Elle est fille des flots, quelque peu magicienne. Aventurière malmenée par le deuil et renaissant sans cesse de ses blessures. La poursuite inassouvissable de son amant se révèle un leurre et les gestes qu’elle s’essaie à reconduire la laissent endolorie : « Au réveil De ce poème qui le maintenait vivant Je ne sus plus que les premiers mots. » Le temps s’écoule et les saisons, qui ramènent la belle endeuillée sur la rive. Dans un murmure, elle livre les mots de son chant : « J’avais sur le sein des fleurs de mimosa. » Mais les mots eux-mêmes échappent, qui se dérobent. Restituer ce qui fut dit de leur dernier échange, et qui parlait de cet amour, se compte sur les doigts de la main. |
JULIEN BOSC Source ■ Julien Bosc sur Terres de femmes ▼ → [Nue-pâle sous sa toilette de satin noir] [extrait d’Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa] → Le coucou chante contre mon cœur (lecture d’AP) → [Nous pourrions dire une forêt] (extrait du Coucou chante contre mon cœur) → La Demeure et le Lieu (lecture d’AP) → [marcher chaque jour] (extrait de La Demeure et le Lieu) → Goutte d’os (lecture d’AP) → (Et toi, qui es-tu ?) [extrait de Je n’ai pas le droit d’en parler] (+ une notice bibliographique) → [Hormis les lèvres où mourir] (extrait de De la poussière sur vos cils) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Julien Bosc → (sur le site des éditions la tête à l’envers) la fiche de l’éditeur sur Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa → (sur le blog Mediapart Outre l’écran) Julien Bosc (par André Bernold), par Jean-Claude Leroy |
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