éditions Pourquoi viens-tu si tard ?,
Collection Poésie n° 20, novembre 2018.
Texte et photos de Marilyne Bertoncini.
Préface de Carole Mesrobian.
Lecture de Sophie Brassart
Souvenez-vous de l’étoffe portée par William Shakespeare, celle « dont les rêves sont faits », qui soulève tout ou partie la question de notre existence ? C’est la profondeur de cette matière, dans les replis de l’étoffe enrichie du fil dénudé des souvenirs, que le recueil de Marilyne Bertoncini, Mémoire vive des replis, nous convie à parcourir superbement de l’œil, et dans tous les sens. « J’erre au labyrinthe sans fin d’un palais des glaces et du souvenir ». L’ouvrage, dans son élégant format à l’italienne, est composé de quatre éléments qui s’accordent avec le mouvement même de l’intériorisation : en premier chef, c’est l’image qui noue toutes les acceptions du motif du « repli », grâce à la présence des photographies réalisées par la poète. Sous la main, nul élément trop personnel qui se donnerait à voir ; il s’agit bien d’une entrée en matière, celle de la révélation des souvenirs, favorisée par les jeux de drapés en principe d’alternance, dans l’affirmation d’une vie où se déterminent pour chacun l’espace et la lumière — réminiscence qui appartient à son auteure aussi bien qu’à nous tous. La vibration des couleurs est intense, la matière imposant elle aussi une véritable présence, forme intégrant tout à la fois le présent et le passé. Ces strates existentielles savamment tissées dans les fibres naturelles ou végétales trouvent écho dans les mots qui « crissent comme le sable dans l’infini du sablier », convertissant à leur tour chaque étape de l’âge et du témoignage. « et ce mot faillirait au moment de le dire toujours au dernier souffle au dernier éclat du cri ». Les trois parties du recueil constituent les lignes de sauvegarde comblant les zones où meurent les motifs : voici « Sous la carte d’amnésie », « les Distilleries idéales », enfin les « Conseils de survie pour le monde à l’envers ». Les « replis » résident dans la moire du sable transportant sous les mots micellaires les traces d’un chemin, du « Sahara de mon enfance » jusqu’à « quelle porte de l’Enfer » : « portes muettes désormais », « derrière les rideaux », s’élève « l’air un peu flou d’un lointain paysage » dont nous n’avons que peu d’indications topographiques, hormis « les plages de Wissant », « le port de Dunkerque » ainsi que la « rue Blanche ». Car la poète tisse fil à fil et mot à mot le lien métaphorique entre le blanc de l’oubli et l’origine, entre souvenir réel et souvenir rêvé. Du « serpent sinuant sur la croix d’émeraude », aux « longues jambes du pont », à la « tiède caverne », encore les « tendres rhododendrons », « boutons de nacre / comme des yeux sans vie », ce sont aussi nos souvenirs qui sont évoqués dans leur délicatesse comme dans leur première frayeur : qui n’a pas eu peur des majuscules du « Loup » ? Qui n’a pas rêvé des « Antipodes » ? Et nous replongeons intacts lecteurs et enfants dans le langage des choses muettes et des fleurs, ce « miraculeux bouquet de myosotis […] à l’abri du temps ». L’étoffe du poème se convertit alors en fragments d’histoire, transcendant l’ordre du quotidien : « Dans le sommeil je reprends libre mon cours de fleuve enfant ». L’auteure œuvre ici pour le terme d’un double trajet, celui de l’accès au souvenir, ce dernier étant sublimé par « la porte prohibée » qu’elle franchit à la suite d’un long parcours initiatique, et l’aboutissement, à l’issue duquel le lecteur s’en trouve lui-même transformé, puisqu’il est invité à opérer son propre retour : « En nageant jusqu’au bout de ton rêve tu parviens outre la porte des songes sous les algues flottantes du sommeil dans l’aurore de blancs coquillages ». Privilégiant la relation dynamique au mythe orphique, Marilyne Bertoncini renoue avec l’energeia antique en s’appuyant sur la force créatrice de l’expérience du rêve, qui rend possible le surgissement de la vérité. Savoir irrévélé jusque-là, qui établit avec minutie le rapport de l’homme au « jadis / j’ai vécu d’autres vies », comme à l’émerveillement premier de « l’Aube originelle ». Mais il y a une responsabilité à avoir quant à la nature hypnagogique du souvenir ; en effet il s’agit d’accueillir le mouvement même de son apparition avec la plus extrême vigilance, au risque de tout perdre : « Sois attentif alors à ne jamais fixer la lumière sinon l’ombre minuscule d’échardes de soleil lacèrerait la peau du monde ». |
MARILYNE BERTONCINI Source ■ Marilyne Bertoncini sur Terres de femmes ▼ → [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis) → À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida) → La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP) → [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias) → Labyrinthe des nuits (lecture d’AP) → La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP) → [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa) → Sable (extrait) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une fiche bio-bibliographique sur Marilyne Bertoncini → (sur Recours au poème) plusieurs pages sur Marilyne Bertoncini → Minotaur/a, le blog de Marilyne Bertoncini → (sur le site de la revue Texture) une lecture de Mémoire vive des replis de Marilyne Bertoncini, par Philippe Leuckx |
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