[IL N’Y A PLUS D’ARBRES]
Il n’y a plus d’arbres,
on se demande s’il y en a jamais eu.
C’est l’autre royaume.
C’est vrai, l’espace était simple
Comme le fond d’un tableau abandonné
- on avait vu trop grand, on avait cru
qu’il faudrait tout remplir - , c’est vrai,
l’air appelait de plus loin, semblait
prendre de la vitesse, rester peu
dans les poumons.
On comprend à présent : les arbres
ont quitté l’ouest de l’Irlande. Des migrants.
Beaucoup de bois flotté sans doute.
Reste la terre. Reste l’eau qu’on sent proche,
glissant son bras sous l’île, la secouant
comme un parent inquiet réveille son enfant,
l’eau, possessive même invisible.
Car la plaine de tourbe et les montagnes
- on cherche vainement les marches des plateaux -
sont l’abscisse et l’ordonnée du monde.
Beaucoup de brun. Du vert. Le cerne du ciel.
On voudrait du rouge pour se rappeler son propre sang.
Il faut s’agenouiller devant les blocs
de tourbe pour en trouver, striant
la terre comme un persillé. Une viande à sécher,
et à cuire. Du sang dilapidé.
Emmanuel Merle, Tourbe, Éditions Alidades, Collection Création, 2018, pp. 32-33.
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