PASSÉ LE PONT
Passé le pont, les fantômes vinrent à ma rencontre. C’est ce que nous avons fait cette année : nous avons passé le pont, et nous sommes tous encore ici, mais les fantômes, il s’en trouve toujours, ne sont pas hostiles. Il n’y a que les hommes de pouvoir et les hommes d’Église, les hommes habilités à jeter des ponts, pour penser que les fantômes sont des ennemis. Pour nous qui franchissons ces ponts, et ce faisant décidons de laisser venir les âmes errantes à notre rencontre, ce sont des présences apaisantes, ils sont notre devenir. Ils sont ailleurs, nous sommes ici, demain ce sera l’inverse, quelle importance ? Chaque jour des arbres tombent et des ponts sont coupés. Restent lumière, vent, pierres, sable et odeurs d’ici, lumière, vent, pierres, sable et odeurs d’ailleurs, restent nos vies inquiètes et nos élans joyeux. Nous vivons dans des ruines et avec des fantômes, des matières mortes, des matériaux vivants, des événements violents dont nous ne savons plus s’ils ont eu lieu ou non, et, restons pascaliens : nous ne sommes pas au présent ; mais si le présent est un lieu, où sommes-nous alors puisqu’il nous est impossible d’être partout comme d’être nulle part ? Nous sommes là où notre présence fait advenir le monde, nous sommes pleins d’allant et de simples projets, nous sommes vivants, nous campons sur les rives et parlons aux fantômes, et quelque chose dans l’air, les histoires qu’on raconte, nous rend tout à la fois modestes et invincibles. Car notre besoin d’installer quelque part sur la terre ce que l’on a rêvé ne connaît pas de fin.
Mathieu Riboulet, Nous campons sur les rives, Lagrasse, 7-11 août 2017, éditions Verdier, 2018, pp. 35-37.
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