Collection Poésie, 2018. Peintures de Marie Alloy.
Lecture d’Angèle Paoli
« CE QUI CESSE COMMENCE » Ce qui se dit dans les pages du recueil Le Fil de givre, c’est une re-naissance. Ce que le lecteur découvre sous la voix poétique d’Isabelle Lévesque, c’est une complicité poétique, une dilection vivifiante et vitale. Une « alliance ». Peut-être le visage d’un amour dont le destinataire ne nous est pas connu. « Aimer tient en un verbe rond », écrit la poète. En filigrane sous le poème, derrière l’alternance d’un « je » et d’un « tu », le « nous » accueille. Une double voie/voix se lit/se lie dans le fil de trame. « Nous voulons la rive d’orge, trame du temps, ce que le vent lève à sa suite, les mots des siècles et la mémoire ». Avant même le poème d’ouverture du recueil, l’annonce de l’aveu courait déjà dans les deux épigraphes qui le précèdent. Toutes deux empruntées au poète Éric Sautou : « La flamme pourrait s’éteindre, le vent tout emporter. Je te réapparais au grand soleil de notre vie. Tu redeviens la belle image. Tout l’or éclate. » « c’est écrit à la main de simples fleurs voici. » Ce qui se lit dans ces phrases, outre la passion — éclat et fragilité, obstacles et périls —, c’est l’offrande : simple, directe, accomplie dans la joie et dans la plénitude de l’instant. C’est sans doute cette double tension qu’a perçue Marie Alloy, dont les peintures rythment l’espace, qui traversent de leur jet d’écume, vagues et sillons, dans la verticalité de leur jaillissement, eau et mots, paroles et éclats. Et la poète d’écrire en écho : « Peindre, écrire, renouer les fibres déliées, le Sillon trace un secours… » La rencontre a eu lieu, « [a]u rendez-vous de pierre. » Dans le paysage d’elle, calcaire falaises pierre et lierre, enlacés comme au temps des amours médiévales, récits qui affleurent dans la mémoire, roche cordée mystère, pas-de-deux, danse déjà ! « Le saut devient danse. Sur la roche ? (Rien n’érode l’escalier du ciel.) Tu vis l’ardeur et glisses nos mystères le long des cordes. J’entends les mots que tu hisses et les nuages rejoints se font torrents. » Tout se joue dès le premier poème, le retour à la vie et cette re-naissance inespérée qui abolit un passé habité par le « vide ». Ici, soudain, dans ce très beau poème, tout devient possible dans l’ardeur retrouvée. Jusqu’à l’aveu : « Désormais vigne se cueille. Je te retrouverai tout à l’heure le ciel est une forteresse de pierre. » Dans un autre poème s’affirme ce « nous ». Ce qui noue l’un à l’autre, le « je » au « tu ». « Tu commences, tu assures le signe croix devenu nous. » Puis cet aveu, encore, qui affirme un mode d’être, qui en révèle l’essence : « Nous sommes, loin d’une apparence trompeuse, noués à l’herbe. » Un désir de durée par-delà les saisons s’empare de celle qui confie pour un temps à venir cette promesse, cet élan : « Alors je poserai sur toi le minerai, les mots d’ambre laissée. » Comment ne pas entendre, sous « les mots d’ambre laissée », les mots embrassé / embrasé ? D’autant que veille le feu (tout comme la glace), présent sous ses formes diverses, flammes et braises, symbole de brûlure, intense et partagée : « Le chemin se perd lorsque tu saignes, le cœur s’ouvre fragile. Il bat, nous brûlons. » Cet autre, qui est-il ? Il est celui sur qui s’appuie la confiance absolue. Ce qu’il est se perçoit dans sa force ; dans la part magique de sa présence : « toi guide ou marcheur. Forcené des nuages accrochés au soir. » Ou encore : « Cassé, mais vivant, debout, tu es l’alchimie, le oui la vie, où asseoir la chance. » Il est celui en qui la poète assied son propre talent. En lui, elle reconnaît celui qui la libère de ses entraves et qui la fonde : « Lié au cercle de glace captivant la terre, muet, tu avances et je suis. » En enjoignant à la poète d’écrire, il lui montre la voie. Comment résister à sa bienveillance ? Il ne reste plus qu’à s’exécuter et puis à se lancer, sans « nulle résistance » : « Tu veux. Des poèmes. Je m’attelle. Tu souris. Alors possible. » Pourtant, derrière la force du magicien et cette confiance qu’il a dans la poésie, se cache sa fragilité. Celle qui définit l’autre et donne son titre au recueil : « Fil de givre. » « Pour réveiller la menace tue, mes baisers te soulèvent ‒ c’est ton ombre, autour de tes bras, autour de ta vie, corde fine, brindille. Fil de givre ? » Ainsi le magicien lui-même est-il soumis aux aléas de la vie, aux dangers qui le guettent : « Tu n’échappes pas aux données contraires ‒ nos secrets connus de toi seul. Tu ne renonces pas : force vaillance. » Seule la poésie. En elle se tient la force secrète. Un recours/un « secours » qui se partage : « Nos entailles d’encre, parchemin silencieux. Coins brûlés, acceptons le feu et les phrases. Longues. Emportées. Livre et le vœu. Le brasier plus que la flamme. » Chaque poème du recueil recèle sa part de mystère. Semées comme les graines du Poucet, les italiques ébauchent une sente où l’on pourrait sauter de gué à gué, et il serait ainsi possible de reconstituer une histoire en pointillé : Désormais / ou jamais ; si loin ? oui / nous / Rien n’est moins sûr / Dévêts / Crois-tu ? / Se blottir arriver joindre / Je t’embrasse... Autant de « signes vifs » dispersés au fil des poèmes, craie / nuit / voix / braise / voyelles… gardiens d’un secret que l’aveu sous-jacent ne suffit pas à dévoiler. Parfois se répondent les mots, en écho d’une page à l’autre. « Temps ferment / tourments / serment » // « dévisage / Dévêts » // « Braises / baisers »… Puis, au détour d’une page, survient sur deux vers un énigmatique tandem : « En outre et comme. Assoiffe, dérange. » Les poèmes s’égrènent, de forme et de longueur variable, marqués, comme ceux de jadis, par des groupes nominaux incomplets. S’absentent les déterminants, sans doute pour donner prise à la langue directe, à ce qui s’impose à elle, d’un seul tenant. Pourtant, la poésie de ce dernier recueil a gagné en souplesse, en fluidité. Et en diversité formelle. Isabelle Lévesque semble renouer avec des expressions plus amples, plus rondes, moins heurtées que celles qui étaient sa signature jusqu’alors. Ainsi de ce poème de trois quatrains (un presque sonnet ?). Un poème fluide à la beauté singulière, mystérieuse qui allie mer/terre et ciel. D’autres fois ressurgit le passé ; ce lointain intérieur qui remet en question le présent, équilibre précaire entre un avant et un aujourd’hui : « Loin qui cogne et contre temps ? Où vaciller ? Le cœur en sa faveur demeure ‒ la craie évanouie. Un son se perd, le sort, pire victoire en voyelle. Espère. » L’intrusion d’une voix moins douce sème le trouble, soulève un vent de révolte, précipite les interrogations et les doutes : « J’oublie, je cogne. » À quoi semble répondre la voix réconciliatrice et apaisante de l’autre. « Portant haut les mots, tu lisais les poèmes. Tu secouais mes ombres et j’entendais : un mot cogne pour conjurer l’oubli. La mort avait-elle choisi, arrêtant d’un signe les promesses fécondes ? » La mort en effet est à l’œuvre, qui guette, se glisse entre les mots, imprime ses propres signes sous la peur : « Pas de taille à regarder venir le pire. » Pour conjurer le sort qui lie les deux êtres à leur histoire, il reste la promesse car : « Promettre suffit. |
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