Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2018.
Lecture de Gérard Cartier
LE « 8½ » DE DUBOST Ce second volume de & Leçons & Coutures ne se distingue du premier (Isabelle Sauvage, 2012), que par la taille réduite (du fait de l’absence des notes marginales qui donnaient le sens et les emplois de certains mots archaïques ou régionaux) et par la forme des prosains – l’auteur s’est ici plié à une mesure, d’ailleurs assez libre : neuf lignes (ou, plutôt, huit et demi…). Il m’a aussi semblé que le ton était encore plus libre, l’écriture plus débridée, la syntaxe plus chahutée que dans le premier volume de ce Grand Livre de Dettes. Il s’agit, à nouveau, d’un hommagier de 99 poèmes, chacun dédié à un écrivain, majeur ou lare, prosateur ou poète, de toute esthétique (Jaccottet voisine avec Zanzotto), de toute origine et de toute époque, ce que revendique l’un des exergues, emprunté à Jude Stéfan : « On écrit […] généalogiquement, c’est-à-dire tout au long de l’arbre poétique des siècles ». La langue de Jean-Pascal Dubost est fortement mâtinée d’ancien français, tant dans son lexique que dans sa graphie (« griphé en grafie réjouissante »), mais pas seulement : tous les idiomes y concourent, des patois régionaux aux parlers populaires d’aujourd’hui – n’y manque peut-être que le vocabulaire scientifique –, sans compter les néologismes, nombreux et souvent savoureux. L’auteur est un lexicolâtre et un logophile ; son esthétique est proche de celle de Rabelais ; il joue sur l’excès, l’accumulation, la distorsion, les allitérations, jongleries, exclamations, etc. – tout ce qui fait que les mots rythmiquement insinués dans l’oreille provoquent un plaisir quasi charnel. Y concourent, pour le plaisir de l’esprit, proverbes et expressions détournés (le feu de dieu, à propos d’Artaud) et les jeux de mots – quitte à les emprunter à un autre, si l’emportement de l’écriture le réclame : « il faudrait inventer quelque nouveau langage qui n’langage que soi » (à propos de… Théophile de Viau). Chaque poème est fait d’une phrase unique, ponctuée, d’une grammaire souvent malmenée jusqu’à la faute et au style télégraf. On pense à ces dragons qui s’enroulent spasmodiquement sur eux-mêmes en formant de multiples anneaux, si bien que, malgré la brièveté de ces textes, il arrive qu’on en perde le fil. L’auteur aussi, semble-t-il, qui court avec jouissance vers la neuvième ligne où, que le sens se soit ou non formé, tombe le couperet du quadratin final. Poèmes que l’on ne comprend parfois que par flambées, sans en être totalement éclairé, mais assez pour en être échauffé ; et qui parfois, au contraire, se donnent de façon presque fluide : |
PHILIPPE JACCOTTET Très belles matières et moult delictables choses à revoir et pardurables instantanément comme le vol insaisissable d’un roipêcheur surgissant sur dailymotion après beaucoup d’années (sur la Loire) et bam « la mort d’une mésange dans la maison » écrite au crayon papier sur la dernière page d’un livre achevé d’imprimer le 6 octobre 1975 sur vergé, mais c’est une petite prose de vie pour reprendre terre — |
JEAN-PASCAL DUBOST Source ■ Jean-Pascal Dubost sur Terres de femmes ▼ → « prosains » (extrait de & Leçons & Coutures II) >■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) une notice bio-bibliographique sur Jean-Pascal Dubost → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la fiche de l’éditeur sur & Leçons & Coutures II ■ Autres lectures de Gérard Cartier sur Terres de femmes ▼ → Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante → Alain Guillard, Quête du nom → Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux → Emmanuel Moses, Ivresse → Muriel Pic, Élégies documentaires |
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