LETTRE DES NEIGES ÉTERNELLES
À Valérie Rouzeau
Quand je me deux dans ton pays, je sens très bien qu’il est aussi un peu à tous, même si La poésie c’est pas donné à tout le monde, toi tu nous l’offres et nous embarques à la rencontre de nos visages traversiers, de leurs paroles muettes, sonores comme l’esprit et la matière. Va où la vie, qui va qui vient, on ne sait d’où, on ne sait où, sauf que la mort l’accompagne dans la mémoire de la terre et la danse de la langue. Dessus dessous de ta voix occupée à chercher la direction et le sens au rythme syncopé de la marche, mots et mains jouant sur tes pages. En un seul corps, plusieurs cœurs et leur tempo, tu fais entendre le rossignol de l’amour et les canons de la douleur.
Selon l’état qui t’étreint, selon les ères et la saison, tu te meus et t’émeus, et on avance à tes côtés, montée, descente et remontée, tu parcours des années-lumière pour t’arrêter quelques secondes dans un poème. On y sent la poussière d’étoiles qui nous constitue, toute la nuit qui nous emporte lustres après lustres, feu, silence et mystère dans la création et le passage du vivant. Ton écriture n’oublie ni le poids des choses, ni la dignité des êtres, ni le pourquoi qu’on ne peut dire et qui si fort hante nos mots. Dans tes livres on ressent tous les possibles et mal possibles bonheurs des jours, toutes les catastrophes, annoncées ou pas. Il y a aussi qui les traverse cette toute petite fille, l’espérance, elle tient par la main la beauté de l’univers, la fidélité des bêtes et attend des hommes la bonté, contrée étrange où tout se tait, comme te l’a soufflé un poète.
Il est quelle heure, je suis heureuse, il y a un arbre / La guerre, le nucléaire, il y a un arbre / Un arbre, un arbre, voyageur impeccable… À l’instant du souvenir, de la contemplation et de l’écriture, le monde et le temps féroces s’oublient, reste l’ouverture de qui aime et voudrait être aimée. Tu remercies ainsi l’ami perçu au doux fond du ciel, il te ressemble car lui aussi, par gros temps, le nombre des cumulus, la force contraire des vents bien souvent le font ployer ou reculer mais non rompre sous la menace.
Chutes de moral ou de vers : tu erres au centre des cités énormes, dans leurs rues aux cris d’éclopés, où les mendiants, les sans-logis, les mal ou pas du tout payés n’arrêtent guère les urbains pressés vers les entreprises, les commerces, puis les transports. On y entend les discours de haine, les paroles du mépris qui attaquent en toi la vie. Le vert rouille sur l’impassibilité de la pierre ou dans la violence de l’hiver. Poète et femme, femme et poète, tu es étourdie de tant d’injustices et de mochetés. Menu flocon parmi les autres qui n’en peuvent mais, d’empathies en chamboulements, Neige rien que tes vers pauvres pour témoigner, parce que tu n’es bonne qu’à ça et pas fichue d’interrompre en toi la rumeur silencieuse de la plainte ou de la révolte.
Le monde, sa ritournelle, ses ténèbres et son néant, pratique avec toi le télescopage et le broyage. Un pied dans la vie et l’autre dans la mort, grand écart avec compactage du réel, des joies et des déchirures. L’enfance a tous les âges, elle ferraille en nous, jeunes et vieux. Elle mène aussi la course contre le perdu. Un visage naît, brille puis disparaît et c’est si dur. A l’azur blessé / de plus jamais plus, les absents règnent, père mort ou amant parti, le chagrin en toi trouve sa place avec la mélancolie et tu sens ta solitude jusqu’aux ailes de ton nez. On cherche à jamais les cœurs dans les bouquets, anémones enchantées des ciels.
Mais voilà qu’un jour encore tu t’extasies devant le chat et la fleur parfaite, ou pour le prince qu’on sort et l’enfant, merveilles de tes poèmes passés, présents et à venir. Ton cœur à toi, et le nôtre, n’ont-ils pas des veines pour la sève et des baumes pour la blessure ? Au cimetière tu trouves la paix, une forme de sérénité, dans tes rêves les mains toujours bonnes de l’aïeule et dans un train très auroral le petit gars solitaire aux yeux bleus qui partage les biscuits Lu de ton paquet puis s’endort, dans la simplicité d’exister là où la vie et l’autre vie sont sempiternellement humaines.
Sylvie Fabre G., « La Vie réinventée (Lettres) » in La Maison sans vitres, éditions La passe du vent, 2018, pp. 82-83-84. Postface d'Angèle Paoli.

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